Le pouvoir féminin a toujours comporté quelque chose de plus complexe que le penchant masculin. Encore aujourd’hui, les femmes, qu’elles gouvernent ou non, sont jugées selon des normes plus strictes que leurs homologues disposant d’un pénis. Dans la pièce Souveraines, une oeuvre surprenante présentée au Théâtre de Quat’sous, l’auteure et comédienne Rose-Maïté Erkoreka explore cette dichotomie.
De Margaret Tatcher à Pauline Marois, en passant par Hillary Clinton, ou encore Marine le Pen, les femmes de pouvoir divisent, suscitent la controverse. Faut-il également évoquer le cas de la colorée Catherine Dorion, essentielle bouffée d’air frais pour les uns, figure plus que controversée pour les autres, pour faire comprendre que le pouvoir se conjugue différemment au féminin?
C’est dans cette perspective que Maya, actrice has been membre d’une troupe de théâtre amateur à Terrebonne, tente de faire monter sa propre pièce, qui porte justement sur les femmes dirigeantes, celles qui ont gouverné le monde à divers moments de l’histoire. De l’autre côté, du côté du patriarcat, si l’on peut dire, le directeur artistique de la troupe, installé depuis une quinzaine d’années, veut adapter Les Rois maudits, oeuvre marquante de la littérature française, s’il en est, mais aussi oeuvre profondément masculine, où les femmes occupent la portion congrue des rôles.
S’ensuit une superposition en deux temps: d’abord, cette « guerre » tout à fait locale, cet affrontement avec cet adversaire tangible prenant peu à peu des proportions dantesques, sombrant lentement dans la folie quasi-meurtrière. Ensuite, un écho historique de ces récits de reines menacées par les royaumes voisins et la trahison de ceux qui étaient tout pour elle. Avec des décors toujours plus grandioses, des costumes toujours plus imposants, ce duel devient une lutte à finir entre le patriarcat et le pouvoir nouveau genre, celui des femmes qui s’inspirent des codes de leurs prédécesseurs masculins, mais qui y injectent également une bonne dose de féminité, de vulnérabilité.
D’ailleurs, cette perspective féminine sur la gouvernance suscite bien des questionnements: qu’est-ce que « gouverner au féminin », au juste? Est-ce montrer davantage ses émotions? Faire preuve d’empathie? Être « hormonale », comme se plaisent à asséner machistes, animateurs de radio-poubelle et un certain président américain?
La question demeure entière, puisque la plupart des exemples contemporains de femmes dans des positions de pouvoir n’ont pu diriger que pendant de brefs instants. Hillary Clinton a perdu ses élections; Pauline Marois a été prise pour cible par un terroriste… Avant de perdre le pouvoir, 18 mois plus tard; Benazir Bhutto a été assassinée; Angela Merkel a toujours dirigé l’Allemagne d’une main de fer, sans vraiment montré un « côté féminin »…
Souveraines, l’oeuvre de Rose-Maïté Erkoreka dans laquelle elle tient le rôle principal, ne répond pas à toutes ces interrogations, loin s’en faut. Elle propose toutefois plusieurs pistes de réflexion, autant de points de vue différents de ceux des hommes ordinaires, quelque peu bedonnants, qui imposent trop souvent les mêmes valeurs, les mêmes visions du pouvoir à une société lasse de ce carcan sociopolitique.
Souveraines, de Rose-Maïté Erkoreka, dans une mise en scène de Marie-Josée Bastien. Une production du Théâtre de la banquette arrière, avec Rose-Maïté Erkoreka, Amélie Bonenfant, Sébastien Dodge, Anne-Marie Levasseur, Lise Martin, Éric Paulhus et Simon Rousseau.
Présentée au Théâtre de Quat’sous jusqu’au 8 décembre.
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