Il faudra attendre les détails de la mise en place d’un nouveau programme d’aide destiné aux médias d’ici, bien souvent exsangue, mais l’annonce, mercredi, d’une enveloppe de 600 millions de dollars par Ottawa, histoire d’offrir un répit à l’industrie journalistique, est largement bien accueillie.
Voilà des mois que les médias québécois et du reste du pays multipliaient les démarches au près du gouvernement fédéral de Justin Trudeau. La perte des revenus publicitaires, doublée d’une vaste incertitude concernant un éventuel modèle d’affaires pouvant justement remplacer l’argent versé par les firmes de marketing et la diminution des abonnements payants, entraîne depuis des années des compressions, des pertes d’emplois, voire des ventes de publications, ou carrément des fermetures de journaux.
Dans les faits, l’argent promis mercredi dans la mise à jour économique du ministre des Finances, Bill Morneau, se matérialisera sous la forme de crédits d’impôts sur les coûts de main-d’oeuvre, un autre crédit destiné aux abonnements web, en plus d’une aide fiscale sur les dons de bienfaisance destinés aux médias à but non lucratif.
« Enfin, notre cri d’alarme a été entendu!, affirme Pascale St-Onge, présidente de la Fédération nationale des communications (FNC-CSN). C’est une excellente nouvelle. Après avoir vu de nombreux journaux fermer les uns après les autres, le gouvernement fédéral reconnaît enfin l’ampleur de la crise et met en place des mesures concrètes. »
Du côté du Conseil provincial du secteur des communications (CPSC-SCFP), on salue la mesure annoncée par le ministre, mais on fait néanmoins preuve de prudence, en attendant les précisions de ce vaste programme.
« La question des critères d’admissibilité est très sensible. Comment va-t-on préserver et renforcer l’indépendance des salles de nouvelles face aux donateurs, aux annonceurs et aux propriétaires », demande ainsi Alain Caron, président du CPSC.
À la Fédération des travailleurs du Québec (FTQ), on se dit déçu qu’Ottawa n’ait pas voulu mieux encadrer Google et Facebook, qui occupe jusqu’à 90% du marché publicitaire en ligne, et qui n’ont pas, pour l’instant, à redistribuer leurs gains avec les médias qu’ils privent de leurs revenus traditionnels.
« La diminution des revenus publicitaires affecte grandement les médias traditionnels qui voient leurs profits chuter au bénéfice des médias numériques tels que Facebook ou Google. Il y a urgence, tous les voyants sont au rouge, l’aide gouvernementale est nécessaire et justifiée afin de préserver la publication de journaux et les emplois. Par ailleurs, Ottawa aurait dû en profiter pour obliger les géants du web à payer leur juste part et à utiliser en tout ou en partie ces fonds pour venir en aide aux médias qui traversent une grave crise qui pourrait être fatale pour plusieurs d’entre eux », lance de fait Serge Cadieux, secrétaire général de la FTQ.
Comment aider sans nuire?
Pour le gouvernement fédéral, l’aide aux médias peut s’avérer être l’une des bonnes intentions pavant la voie vers l’enfer. S’en tenir au statu quo, c’est voir le secteur continuer de péricliter, le nombre d’emplois et de publications diminuer, et la couverture de la vie politique, sociale et culturelle d’ici s’effriter, avec tous les risques que cela comporte en période électorale, ou en ce qui concerne les risques liés aux fausses nouvelles et aux idées populistes.
Trop aider, c’est assujettir la presse à une aide fédérale permanente, avec, à la clé, la tentation de dicter la couverture médiatique. Le gouvernement Harper avait déjà tenté de mettre Radio-Canada au pas en multipliant les compressions, et les risques du retour des vaches maigres pourraient certainement convaincre bien des journalistes de voter pour les libéraux aux prochaines élections. Élections qui, d’ailleurs, auront lieu dans moins d’un an. Ce nouveau plan d’aide réparti sur cinq ans est donc de facto largement conditionnel à une réélection des troupes libérales.
Pour Michael Geist, spécialiste des médias et des nouvelles technologies et professeur de droit à l’Université d’Ottawa, ces crédits d’impôts sont la meilleure solution possible… Dans les circonstances.
M. Geist rappelle ainsi que les groupes faisant pression auprès d’Ottawa pour obtenir de l’aide plaidaient aussi en faveur d’une taxe imposée à Google et Facebook lorsque serait publié du contenu de médias d’ici, ou encore de frais imposés aux internautes d’ici pour financer la presse.
En favorisant les nouvelles locales en accordant la part du lion du nouveau programme aux médias produisant de l’information régionale, écrit M. Geist dans un billet de blogue publié jeudi, Ottawa a bien fait de ne pas imposer des obstacles à la démocratisation d’internet, entre autres avenues suggérées.
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