L’amour, sous toutes ses coutures, a toujours été au centre du cinéma de Christophe Honoré, qu’il n’est plus nécessaire de présenter dans le milieu du cinéma français. Pourtant, l’homosexualité a toujours été beaucoup plus suggérée qu’entièrement assumée, et c’est après avoir lui-même exploré les capacités et les limites de son art qu’il a enfin décidé d’attaquer le sujet de plein front. En découle Plaire, aimer et courir vite, une œuvre imparfaite qui risque néanmoins de marquer les esprits.
Honoré aime être imprévisible et direct, et c’est dans l’état de choc souvent tétanisant qu’il trouve souvent ses meilleures forces. C’est également un cinéaste qui aime beaucoup s’approprier les genres des uns et des autres pour en faire quelque chose de foncièrement contemporain, comme de la manière dont son iconique Les chansons d’amour évoquait certainement Les parapluies de Cherbourg (œuvre à laquelle il revient régulièrement d’ailleurs). Ici, en faisant penser au cinéma de Téchiné, il s’intéresse à une histoire homosexuelle se déroulant en 1993, qui a pourtant tous les airs d’une détresse contemporaine, voire potentiellement universelle.
Ne nous méprenons pas, après tout: malgré toute la beauté et la tendresse qui peut en découler, et qu’il sait transmettre avec une vision romantique des plus enveloppantes, Honoré demeure catégorique. Pour lui l’amour est une douleur.
Pourtant, malgré quelques détours plus manipulateurs et un brin larmoyants, le cinéaste ne cherche certainement pas à se morfondre ou s’apitoyer, et est beaucoup plus intéressé à nous laisser vivre les émotions qu’il s’amuse à mettre en scène de façon bluffante, nous positionnant tour à tour comme voyeurs et participants des relations à l’écran.
C’est qu’Honoré oppose de façon judicieuse le premier et le dernier amour de deux belles gueules, tous deux à la recherche du sens de leur vie, mais un avec le désir de débuter et l’autre d’en finir. C’est dans cette opposition que le cinéaste s’amuse à trouver beauté et poésie pour pondre quelque chose de très instinctif qui laisse errer le spectateur dans cette histoire virevoltante, toujours pris par surprise par des passages et des dialogues qui détonnent.
C’est donc avec entrain qu’on s’acoquine des personnages à l’écran et qu’on apprend à s’enticher de ces charmeurs colorés. Mieux encore, l’excellente distribution est au summum de son talent. Vincent Lacoste trouve aisément son plus beau rôle en carrière, et les flammèches qu’il produit avec un Pierre Deladonchamps plus en contrôle que jamais risquent de nous hanter longtemps. Et s’il est épatant de ne pas voir le réalisateur renouer avec ses acteurs fétiches, il trouve néanmoins le culot de nous offrir un truculent Denis Podalydès décortiqué dans un rôle qui est tout à la fois lui-même et en dehors de ses propres habitudes.
Grâce à eux, Honoré se permet alors une constellation étincelante dont certains moments s’avèrent d’une indéniable poésie et d’une beauté inouïe. Le hic, bien que ces moments soient particulièrement nombreux, c’est qu’ils s’espacent dans le temps dans ce film de plus de deux heures qui n’arrive pas à entièrement justifier avec autant d’aisance la dimension plus ambitieuse de l’œuvre comme le réussissait son magnifique Les bien-aimés.
Plus convenue et non pas dénuée de clichés, l’histoire n’ajoute pas beaucoup à dire sur l’époque, le SIDA ou même l’homosexualité, avec son approche qui s’en tient exclusivement à la flamme de ses personnages plutôt qu’aux causes auxquelles ils sont reliés.
En ressort alors un film convenable, synthèse d’une bonne part de l’œuvre de Honoré des amours intergénérationnels à la jeunesse, au deuil, à l’homosexualité, au choc des époques et on en passe, qu’on écoute avec beaucoup d’attention et qui fascine autant qu’il séduit, sans pour autant aller aussi loin qu’il pourrait se le permettre. Et ce jusqu’à sa finale d’une cruauté inouïe qui, comme Honoré sait si souvent le faire, détruit soudainement tout sur son passage sans qu’on l’ait vu venir. Avec cette audace qui nous attend au tournant, Honoré rachète alors ses élans plus rassembleurs avec quelque chose de décidément marquant.
7/10
Plaire, aimer et courir vite a été vu dans le cadre du festival Cinémania de Montréal. Une deuxième représentation a lieu ce vendredi à 17 h 45 au Cinéma Impérial. Le film doit ensuite prendre l’affiche en salles au Québec d’ici la fin de l’année.
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