Mise en marché dans le but d’offrir un environnement plus sécuritaire aux travailleuses du sexe, l’application Gfendr, lancée au printemps, a récemment permis de tracer un premier portrait de la consommation de services sexuels tarifés au pays. Les données permettent d’ailleurs d’en savoir davantage sur l’industrie entourant le plus vieux métier du monde.
Au bout du fil, le cofondateur de Gfendr, Simon Leduc, est encore surpris que les principales questions concernant Gfendr portent sur la légalité de la chose. Après tout, la Cour suprême du Canada a déjà tranché: il est légal, pour des travailleurs du sexe, de vendre des services tarifés.
« C’est un peu comme un éléphant dans une pièce », estime M. Leduc, avant de souligner que tous les jours, jusqu’à 2% des Québécois parcourent des petites annonces pour retenir les services d’un ou d’une escorte. « On parle, au Québec, d’un marché de 1,5 milliard de dollars, et de 25 000 à 30 000 services par jour. Il y a énormément de personnes (dans ce marché). »
Le tabou social est-il encore trop présent? Quoi qu’il en soit, l’industrie, elle semble tourner à plein régime. Selon les données colligées par Gfendr, on compte 109 000 travailleuses du sexe au Canada, avec un salaire moyen de 42 000 $ par année. Au total, ce sont quelque 6 milliards de dollars qui circulent dans ce secteur caché ou gris de l’économie, avec plus de 40 millions de services de nature sexuelle par année, soit plus de 100 000 par jour.
Fait à noter, les travailleuses du sexe du Québec et de l’Ontario ont la cote: les deux provinces fournissent respectivement 32 et 45% des travailleuses du sexe de l’ensemble du pays, soit bien au-delà de leur poids démographique.
Accroître la sécurité
Au-delà de la collecte statistique, Simon Leduc rappelle que Gfendr cherche aussi à mieux protéger les travailleuses de l’industrie du sexe. « C’est un peu un mélange d’une application de rencontre et de l’économie du partage, dans le sens où il est possible de laisser des commentaires », explique-t-il.
Ces commentaires « permettent aux travailleuses du sexe de prendre connaissance de l’expérience des autres travailleuses avant de rencontrer leurs clients ».
« Il y a moins de la moitié des travailleuses du sexe qui filtrent leurs clients, et nous pensons qu’en augmentant la capacité, les outils pour ce faire, davantage de gens vont (filtrer la clientèle). Cela permet aussi de connaître qui sont les bons clients; si la travailleuse du sexe reçoit 10 offres, et que deux d’entre elles ont des bons commentaires, deux autres ont des mauvais commentaires, il sera facile de faire un choix. »
L’aspect nouveauté de l’application mobile comporte toutefois des inconvénients: « Les gens ne l’utilisent pas de la façon dont nous voudrions qu’ils s’en servent », reconnaît Simon Leduc. À preuve, la possibilité de placer un interdit (ne pas apparaître pour des clients cherchant ou ayant certaines caractéristiques) n’a pas été utilisée par les travailleuses ayant participé à un test de l’application. « Nous sommes allés voir ces personnes, qui nous ont dit « C’est bien cool, mais ça me bloque des clients », alors l’argumentaire économique a joué là-dessus. »
Le rodage se poursuit, donc. Malgré tout, la petite équipe (Simon Leduc collabore avec Mélissa Desrochers, elle aussi cofondatrice) rêve déjà au marché international. Dans les pays et les juridictions où la prostitution est légale, bien sûr! « Pas question d’aller aux États-Unis avec Gfendr », lance Simon Leduc en riant.
« Nous voulons améliorer la sécurité des travailleuses et réduire le nombre de méfaits », réitère ce dernier. « Il y a actuellement des fonctionnalités qui sont socialement impossibles à mettre en place, comme par exemple, si nous étions en Nouvelle-Zélande, il pourrait y avoir une option pour contacter directement des policiers spécialisés. »
La question du tabou social demeure particulièrement importante, rappelle M. Leduc, et ce même si la Fédération des femmes du Québec a récemment accepté de reconnaître le travail du sexe comme une profession. « Les travailleuses du sexe ne peuvent avoir de compte en banque, par exemple. L’article 286.5 du Code criminel stipule par ailleurs que les travailleuses du sexe peuvent faire la promotion de leur propre service. Il est toutefois illégal, pour un tiers, d’inciter une personne à acheter des services sexuels (art 286.1) ou de créer le contenu pour une offre d’une autre personne (art. 286.4). »
À travers ce flou juridique qui semble persister, l’équipe de Gfendr poursuit sa mission: assurer un environnement de travail sécuritaire, tout simplement.
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