Jonah Hill a beaucoup à montrer et étonnamment bien peu à dire, alors que mid90s, son premier essai derrière la caméra, s’offre comme une œuvre d’art d’une immense beauté et d’un soin technique aussi bluffant qu’impressionnant, mais dont la profondeur et les messages s’avèrent beaucoup moins définis.
Avec son oeuvre tournée dans un magnifique 16mm, Hill se permet un trip nostalgique abasourdissant alors que son œuvre donne carrément l’impression de provenir des années 1990. Du grain de l’image à sa couleur, en passant par le rythme et le ton de plusieurs dialogues, sans oublier le soin d’une attention infinie apporté aux détails dans les accessoires, les costumes et on en passe, la proposition s’offre le passé comme bien peu se le permettent, bénéficiant par ailleurs d’une excellente trame sonore de convenance.
De plus, dénicher toute une bande de nouveaux venus ou presque donne un naturel assez désarmant à l’ensemble. Le hic, c’est que ces derniers finissent par faire pâle figure face à ceux qui ont un peu plus d’expérience, alors que Katherine Waterston en impose beaucoup, et que même s’il élargit sa palette avec un rôle un peu bizarroïde, Lucas Hedge se débrouille tout de même bien.
Toutefois, c’est la performance immense du jeune Sunny Suljic (véritable skateboarder qu’on force à jouer au débutant) qui éclipse tout sur son passage. Après des passages plus ou moins remarqués dans The Killing of a Sacred Deer et The House With a Clock in its Walls, il offre un jeu désarmant, allumé et nuancé qui le pousse dans toutes sortes de directions, sans jamais se montrer inapte face aux difficultés de ce qu’on lui demande d’interpréter. À seulement 13 ans, l’acteur est souvent bien en avance sur son âge.
C’est d’ailleurs ce qui va véritablement surprendre, forçant le rire pour certains, ou l’état de choc pour d’autres, alors qu’on se permet une incursion particulièrement trash et sans aucune censure dans ce passage devancé vers le monde adulte, avec une proximité des corps, ce langage vulgaire, sans oublier les drogues et l’alcool.
Sauf que toute cette provocation ne fait que doser le rythme de cette parenthèse, et lui donner du relief dans la banalité de l’ensemble, alors qu’on ne se concentre que sur un seul été à errer et rêver de mieux. Bien que le pouls de l’époque et de la génération soient pris à la quasi-perfection, Hill ne semble pas entièrement investi dans les destinées ou la psychologie de ses personnages, et se contente de planer en surface, à défaut de surexpliquer certains détours pour mieux faire avancer ses clichés.
Petites folies
Le montage est heureusement vif et se permet quelques folies qui sont très bien accueillies, dont un tour de passe-passe assez inoubliable. Nick Houy a de toute façon participé au magnifique Lady Bird qui lui aussi s’intéressait aux déboires adolescents. Sauf que c’est dans l’exercice de comparaison qu’on finit par réaliser qu’à l’écriture, Hill, grand habitué de l’improvisation, a encore du travail à faire. Alors qu’on vient tout juste de tomber bouche bée suite à l’intemporel et grandiose Eighth Grade de Bo Burnham, on voit que Hill ne sait pas toujours faire un usage judicieux des mots, alors que ses dialogues qui ne mènent nulle part jouent un peu sur la patience, et que certains moments volontairement vains n’ont pas nécessairement l’effet escompté. On n’est pas non plus certain que le cinéaste provient véritable des milieux qu’il tente de dépeindre, alors que les côtés plus réalistes et émotionnels manquent de conviction.
De plus, on se serait attendu qu’après avoir basé sa carrière sur les amitiés masculines et d’avoir notamment fait école avec Judd Apatow, Hill aurait fait une réflexion beaucoup plus sentie et pertinente sur la réalité masculine et les aléas amicaux qui s’en découlent, mais hormis quelques idées qui sont assez bien pensées (est-ce convenable pour un homme de remercier quelqu’un, par exemple), il est difficile de mettre le doigt sur le message qu’on veut dégager de tout cela.
mid90s est donc une œuvre très léchée qui est magnifique à regarder comme un souvenir qui ne nous appartient pas, mais qu’on accepte volontiers de s’attribuer. On fait rarement un usage pertinent du cadrage en 1:1, mais toute la technique est si époustouflante que ce petit détail devient un peu comme un dernier souci. On regrette davantage que par un contenu un peu vide et simpliste, Jonah Hill passe à côté d’une opportunité d’en avoir fait une œuvre qui hante et marque les esprits vers laquelle on aimerait revenir régulièrement, comme tant d’autres coming-of-age avant celui-ci.
6/10
mid90s prend l’affiche en salles ce vendredi 26 octobre.
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