Les ambitions démesurées d’Alfonso Cuarón se font constamment sentir à mesure qu’elles grandissent, alors que sa filmographie, elle, s’épaissit. Cinq ans après l’époustouflant Gravity, il revient avec une proposition aux abords intimistes, mais qui ne fait que cacher quelque chose d’aussi immense qu’inoubliable, comme lui seul en a le secret.
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Nul doute que le Festival du nouveau cinéma a frappé un bon coup avec cette projection surprise. Il ne faut cependant pas passer sous silence l’égoïsme de Netflix de s’être emparé de ce bijou, véritable œuvre de cinéma, et, surtout, de grands écrans, pour le condamner à sa plate-forme où les gens seront confins, en majorité, à découvrir le tout sur téléphones, tablettes, portables ou autres objets numériques n’ayant pas l’étoffe ou la dimension d’un vrai écran de cinéma. Sans oublier les sous-titres qui se mêlent au somptueux noir et blanc de l’ensemble, un aspect qui risque d’en freiner plus d’un, lorsque les cinéphiles auront du mal à tout décortiquer dans un espace visuel aussi restreint.
Pour revenir au film, oubliez les excès fantaisistes ou futuristes du célèbre cinéaste mexicain. Après avoir exploré l’espace, il revient vers quelque chose d’immensément terre à terre, dans ce qui est certainement son projet le plus intime et personnel à ce jour. Certes, son affection pour l’humain, ses personnages, et l’humanité s’est toujours fait sentir, ce qui explique pourquoi ses Gravity, A Little Princess, Children of Men et même son Harry Potter and the Prisoner of Azkaban (probablement le plus intéressant de la franchise, d’ailleurs), notamment, détonnent et fonctionnent aussi bien. Par contre, ici, dans ce projet qu’il a couvé à part entière, assurant le scénario, la réalisation, la direction photo, le montage et même la production, il atteint un nouveau seuil et décidément un nouveau sommet dans ses capacités.
Bon, il faut admettre que le début contemplatif et poseur fait quelque peu prétentieux. Il y a également plusieurs détours qui ne pêchent certainement pas par leur subtilité, Cuarón exhibant plus que jamais son intérêt pour la force au féminin et son rapport singulier avec la mère et l’enfant. Sauf que Roma, jolie chronique s’intéressant à une courte période dans le quartier de Roma au Mexique dans les années 1970, du point de vue de la jeune femme de ménage d’une famille huppée, grandit en nous, nous séduit, et nous éblouit toujours plus, nous imprégnant délicatement de son rythme, de son ton, de son atmosphère, de sa maîtrise.
Dans cette oeuvre d’art méticuleuse et précise, Cuarón pousse plus que jamais sa poésie et tisse une succession de tableaux tous plus confondants les uns des autres, usant des grands espaces, de la profondeur de champ et des actions superposées avec un doigté épatant, confirmant à plus d’une reprise la nécessité et l’importance d’admirer le tout sur le plus grand écran possible. Sans oublier le travail sonore, spécialement élaboré pour laisser le long-métrage nous entourer de sa finesse.
Les scènes prennent le pouls de ce qui se passe à l’écran et privilégient les longs plans, mêlant le théâtre à la réalité. Certes, certaines propositions sont parfois un peu trop soignées, placées et quelque peu arrangées avec le gars des vues, mais on voit définitivement l’évolution du cinéaste face à ses capacités et face aux nouvelles possibilités technologiques, et ce depuis sa fameuse poursuite et le faux sang sur la caméra dans Children of Men.
Bien sûr, Roma n’est pas seulement qu’un triomphe technique, le long-métrage s’avérant intemporel semblant carrément provenir d’autrefois, c’est aussi un témoignage marquant pour du talent qui foudroie, soit, celui de Yalitza Aparicio, splendide protagoniste et nouvelle venue, qui incarne toute l’affection, la détresse et les nuances possibles qu’on lui demande d’interpréter.
Le long-métrage se permet aussi des critiques plus sociales ou politiques, mais sans jamais carrément l’emporter sur les déboires très personnels de notre personnage principal. Il est toutefois conseillé de ne pas trop en savoir et de se laisser emporter par toute la beauté naturelle ou imposée que la grande œuvre de Cuarón a à offrir. Puisqu’il n’y a pas de doute, il y a décidément un soupçon d’immensité qui s’en dégage.
8/10
Roma doit tristement arriver uniquement sur la plateforme Netflix d’ici la fin de l’année. Aucune autre projection sur grand écran, du moins à Montréal, n’est prévue pour l’instant.
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