Climax, le nouveau long-métrage attendu de Gaspar Noé, est un film chargé à bloc sur tous les plans. Violent, radical, irrévérencieux, sanglant, délirant… Le tout, sur fond de sangria intoxicante.
Ce drame dansant se déroule au milieu des années 90, avant l’ère des téléphones portables et des réseaux sociaux. Fait inusité, Climax débute par la fin: une femme ensanglantée titube dans la neige d’une blancheur immaculée, puis le générique final apparaît immédiatement pour brouiller les pistes. D’ors et déjà, on sait que l’histoire ne peut pas bien se terminer.
Quant au « vrai » début du récit, il s’agit d’un visionnement qui ressemble à des auditions filmées pour une troupe de danse. Étrangement, le spectateur aura l’impression de jouer le rôle d’un psychopathe pervers qui se prépare à noter les éléments déterminants des entrevues avec les jeunes qui formeront la troupe. D’ailleurs, tout autour de l’écran de téléviseur où l’on visionne ces auditions, un œil averti aura tôt fait de distinguer des piles de films d’horreur et livres dont les sujets paraissent glauques et perturbants. Le ton est donné.
Place à la fête
Après les interviews, la caméra nous plonge dans une salle transformée en piste de danse. On assiste à une chorégraphie endiablée sur fond de musique électropop enchaînée par Daddy, le DJ qui joue avec la troupe. Les jeunes danseurs s’en donnent à cœur joie la veille de leur départ pour une compétition qui aura lieu aux États-Unis.
L’extraordinaire chorégraphie est dirigée par Selva (l’excellente Sofia Boutella), le tout, sous la supervision de leur professeure de danse accompagnée par son fils, Tito. Qu’est-ce que cet enfant fait là, dans un milieu où la seule issue envisageable est la débauche ? Nul doute possible, Gaspar Noé lui fera la vie dure, à ce pauvre gamin.
Une fois la chorégraphie terminée, leur professeure les invite à faire la fête, leur présentant une table de friandises et de bols de sangria qu’elle a elle-même confectionnée. D’ailleurs, elle avoue plus tard durant la soirée que la sangria est l’une des rares choses qu’elle a réussies dans sa vie. Ironie du sort, cette même sangria sera le début de la fin pour la troupe.
Tout éclate
Au fil de la soirée, les danseurs forment des clans, discutent, se rapprochent, des tensions apparaissent. L’alcool désinhibe les jeunes gens, ce qui donne lieu à des échanges crus et des histoires de qui couche avec qui et de quelle manière. D’ailleurs, Noé a demandé aux acteurs d’improviser une large part de ces dialogues avec comme seule consigne d’y aller de la façon la plus crue possible. Résultat? C’en est parfois écœurant. L’obsession pour le viol chez Noé (avec le film Irréversible, notamment) et pour une violence trop esthétisée est encore une fois omniprésente dans Climax.
Cette violence se traduit également par une surdose de stimuli à l’écran. Au-dessus de ces jeunes presque en transe, Noé filme en plongée, par mouvements rotatifs, tel un tourbillon orgiaque qui donne rapidement le tournis. Les attitudes changent, et Salva se rend subitement compte que quelque chose ne tourne pas rond, contrairement aux prises de vue.
Que s’est-il passé? Une drogue a été versée dans la sangria et tous sont en proie à une terreur collective et hallucinatoire. Tous, sauf deux danseurs qui n’ont pas bu d’alcool et qui sont lynchés par la bande. Or, on ne connaîtra jamais le coupable, même si la fin du film laisse planer un doute…
Sexe, drogue et rock and roll
Au milieu de ce chaos psychédélique et autodestructeur, personne n’est à l’abri des abus de toutes sortes. Et dans cette mise en scène de l’excès, on y voit une certaine critique de la perte de contrôle. Qui que l’on soit, avec l’ajout une variable addictive (drogue, alcool, colère, sexe, désir de vengeance), on peut se transformer en monstre psychotique et vivre une catharsis collective.
Dans Climax, Noé joue énormément sur le clivage entre la possibilité et l’impossibilité de vivre ensemble. Du rêve de représenter la France en groupe tissé serré au départ, ce désir de collectivité aura tôt fait de se terminer en accès de violence en tout genre. Dans cette ivresse des sens qui tourne au vinaigre, ce sera finalement chacun pour soi.
Et dans cette lente descente aux enfers, même le décor participe à cette hallucination méphistophélique. Noé mise sur les jeux de lumières diffuses, sur les ambiances rouges ou vertes qui confèrent aux personnages tour à tour un teint sulfureux ou une carnation maladive.
Et plus cette soirée qui paraissait déjà délirante avance, plus l’endroit ressemble au lieu ultime du film typique: isolé au milieu de nulle part en plein hiver, avec des protagonistes qui ne sont plus vraiment maîtres d’eux-mêmes.
Quel sens pour ce film?
Une fois de plus, avec Climax Noé présente un ouvrage à la fois subversif et énergique, mais contraint de mal finir. Quel message cherche-t-il à transmettre au spectateur? Une critique de la France? Une réflexion sur l’avenir? Une mise en garde contre les dépendances et les excès? Dans ce long-métrage, les sens sont multiples et multipliés, au propre comme au figuré.
Fidèle à son habitude, le réalisateur passe un message, mais il est en partie gommé par sa volonté de déranger. Habitué à avoir mauvaise presse (ou ne se complait-il pas plutôt dans cette forme de publicité négative?), Noé tente encore une fois de choquer à outrance, tout en truffant son film de références diverses — Fassbinder, Pasolini, Kubrick, Buñuel et même Godard.
Mais Gaspar Noé peut-il surprendre encore? Forcément.
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Climax
FRANCE | 96 minutes | 2018