Créée en 2017, l’adaptation théâtrale du film Le déclin de l’empire américain de Denys Arcand par le Théâtre PÀP est de retour sur les planches, à l’Espace Go. Ce grand classique du cinéma québécois est-il toujours aussi criant d’actualité? Ou est-il simplement rafraîchissant de tout à coup se reconnaître un peu plus dans les personnages-monuments que le grand scénariste et réalisateur nous a légués?
Huit amis, artistes et intellectuels, vont se retrouver dans un chalet en Estrie autour d’un souper festif. D’abord, les femmes passent la journée à faire du yoga et à relaxer pendant que les hommes cuisinent. Lorsqu’ils se rejoignent finalement, la table est mise pour assister à un combat d’idées et de valeurs.
Le combat de taille est celui d’Alain Farah et Patrice Dubois, qui signent l’adaptation théâtrale. On apprécie leur désir d’actualiser la matière de l’œuvre majeure de Denys Arcand, de conserver et traduire les luttes humaines et sociales de ces huit personnages… Et on arrive, parfois, à se détacher du film dont l’ombre nous suit jusque dans les estrades du théâtre.
Toutefois, ce qui était tabou ou surprenant sur les écrans en 1986 l’est moins, aujourd’hui. Faute d’être choqués par le discours cru des femmes, on porte plus l’attention sur les choix de réécriture, les références contemporaines qui font sourire. Les quarantenaires parlent de leurs parents « Baby-boomers », des garderies à quatre ans et de Trump!
C’est souvent le personnage de Simon Lacroix, représentant de la génération X parmi les Y, qui met en exergue les malaises et les discordances résiduelles du scénario original. Certains extraits sont élagués, d’autres sont écrits au goût du jour: on atteste avec emphase de l’étrangeté de préférer les fesses d’un petit garçon de 12 ans, et on remplace la peur du sida par l’omniprésence des crises d’angoisses, par exemple.
Dans la mise en scène de Patrice Dubois, un rythme soutenu nous emmène à accepter les longs échanges, qui ne nous apparaissent pas statiques du tout. Mais surtout, des moments de lenteurs et de corps chorégraphiés nous ramènent au langage théâtral, ce qui est très satisfaisant.
En passant d’un médium à l’autre, le metteur en scène doit faire des restrictions des échafaudages: les forces du cinéma ne sont pas celles de la scène. Un moment très agréable est celui où les commentaires des deux sexes s’accumulent alors que la musique devient de plus en plus forte, que tous se mettent à danser. On n’est plus dans l’un ou l’autre des lieux, on est dans la représentation, dans une salle de théâtre, où la forme doit servir le fond et où le geste appuie ou contrebalance le texte.
Mais tous les procédés théâtraux ne sont pas égaux devant le désir d’adaptation. Les moments de lutte sensuelle sont sans complaisance, mais on ressent aussi l’étrangeté des monologues où les acteurs font face au public. On était en sécurité comme devant un écran jusqu’à ce que ces quelques personnages brisent le quatrième mur. Jamais innocente, cette décision nous met en relation avec le texte d’une tout autre manière. Somme toute, le dosage est juste et les choix scéniques nous apprennent à aborder cette histoire depuis un angle nouveau.
On n’efface pas toujours le film, dans les comparaisons. Mais les acteurs nous font assurément oublier les premières performances. Le groupe est maintenant composé d’artistes et d’intellectuels et le nom des acteurs continue de se confondre avec celui des personnages. La plupart des comédiens habitent leurs personnages comme une main ferait vivre un gant. Ce qui nous séduit éternellement du jeu d’Anne Casabonne nous est servi avec grand plaisir, la performance de Bruno Marcil et celle de Dany Boudreault nous font évoquer la tendresse que méritent leurs personnages. Marilyn Castonguay, pour sa part, nous fait rencontrer avec intelligence son personnage de jeune masseuse et étudiante. Simon Lacroix est rafraîchissant, un personnage plus confiant que celui qu’incarnait Daniel Brière à l’époque, qui semble écrit pour être servi par l’humour décalé qu’inspire le jeune acteur.
Le personnage de Mario a maintenant été rencontré sur Tinder et vient changer l’erre d’aller du repas avec un monologue nouveau qui veut faire rougir d’ignorance les personnages bienpensants auxquels on s’est attaché. Alexandre Goyette incarne cette nouvelle version du personnage, tout à coup plus volubile. La déferlante des opinions a raison d’être dans cette relecture et fait écho à la fonction première du personnage. Malheureusement, le chaos de cette scène est tel qu’on ne retient de l’éclat malhabile que le malaise qu’il crée, au détriment de la charge émotive que l’acteur tente de porter.
Pas aussi criant d’actualité que l’œuvre monumentale des années quatre-vingt, Le déclin de l’empire américain, tel que présenté à l’Espace Go, nous attache beaucoup plus aux personnages, par la mise en scène et la direction d’acteur. Une réécriture touchante et amusante, aussi. À voir jusqu’au 27 octobre 2018.
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