L’économie et la psychologie sont des sujets qui peuvent sembler arides de prime abord, mais grâce au talent de vulgarisateur de Tim Kasser et aux illustrations de Larry Gonnick, Hypercapitalisme parvient à en traiter efficacement sous le couvert de la bande dessinée.
Loin des notions de saine concurrence et de libre-marché énoncées originalement par Adam Smith, nous vivons aujourd’hui dans une sorte de « capitalisme sous stéroïdes ». En glorifiant dès l’enfance le matérialisme, l’acquisition de biens et le statut social, les citoyens de jadis ont peu à peu cédé la place aux consommateurs, et la plupart d’entre nous se considèrent désormais comme des acheteurs d’objets plutôt que les membres d’une même société. Il serait peut-être temps de se demander si les valeurs mises de l’avant par notre système actuel sont compatibles avec nos notions de bonheur, et c’est précisément ce que fait Hypercapitalisme.
Connu pour ses travaux sur le matérialisme et le bonheur, le psychologue Tim Kasser a eu la bonne idée de s’associer au dessinateur Larry Gonick et d’utiliser la bande dessinée pour rendre son propos encore plus accessible. Dans un premier temps, Hypercapitalisme constitue un véritable cours accéléré sur l’économie, démystifiant autant les notions de capital, de concurrence et de marketing furtif que la délocalisation, l’ALENA, ou les entreprises à responsabilité limitée, mais c’est surtout en abordant l’impact de cet « hypercapitalisme » sur notre bien-être personnel et nos valeurs collectives que l’ouvrage prend tout sa pertinence.
Tim Kasser est un excellent vulgarisateur, et en quelques phrases bien ficelées, il parvient à expliquer clairement des concepts complexes, tant économiques que psychologiques. Le constat plutôt sombre du livre (qui avance que de simples préoccupations monétaires ont tendance à supprimer les impulsions de serviabilité chez l’humain, ce qui laisse présager une société de plus en plus individualiste), est contrebalancé par une bonne pointe d’humour, mais aussi par la seconde partie de l’ouvrage, qui propose une liste d’actions pour changer les choses. La plupart se limitent aux choix personnels (achat local, simplicité volontaire, troc, etc.), mais on trouve également quelques pistes de solutions politiques.
Il y a beaucoup de texte dans Hypercapitalisme, ainsi que des photos, des publicités, des statistiques, ou des citations d’Ayn Rand, Thomas Jefferson et Ronald Reagan, mais la composition graphique de Larry Gonick rend chaque page agréable à l’œil. Dans un style qui rappelle celui de l’illustrateur québécois Jacques Goldstyn, Gonick dessine Tim Kasser lui-même comme narrateur, ce qui permet de briser régulièrement le quatrième mur. Il accompagne souvent un paragraphe de texte très sérieux d’une illustration frôlant la caricature, et dans un trait d’humour éditorial, il refuse de dessiner le visage de Tom Delay, l’ancien représentant républicain, par principe.
Hypercapitalisme prouve que la bande dessinée peut aussi instruire et provoquer la réflexion, et ce « manuel d’économie critique et optimiste » constitue une lecture incontournable pour quiconque souhaite mieux comprendre le système économique actuel, et surtout, son influence sur nos valeurs et nos vies.
Hypercapitalisme, de Larry Gonick et Tim Kasser. Publié aux éditions Delcourt, 240 pages.
Olivier Niquet entre au Club des mal cités par la grande porte
2 commentaires
Pingback: Les platanes d’Istanbul, de l’émotion à l’état pur
Pingback: Critique Hypercapitalisme - Patrick Robert