Quelque chose de terrible s’est produit dans le monde de We Happy Few, le jeu d’aventure développé par le studio montréalais Compulsion Games. Et malheureusement, cette chose terrible concerne l’univers dystopique d’un Royaume-Uni paranoïaque en 1964, mais aussi le produit lui-même.
Oh, que l’on aurait aimé adorer We Happy Few… Après tout, l’idée de base était franchement intéressante: une période historique alternative où une ville britannique, dans les années 1960, a intégré le côté psychédéliques des sixties, mais pour mieux contrôler ses citoyens. Les habitants y consomment régulièrement des médicaments psychotropes qui camouflent la réalité. Et que se passe-t-il quand l’effet de cette Joy disparaît? Les résidents voient alors le monde comme il l’est, gris, terne et désespérant… et leurs jours sont comptés.
Non seulement ce jeu semblait-il prometteur, avec son univers cartoonesque rappelant les premiers dessins animés, avec une touche d’humour noir tout à fait british, évoquant à la fois le flegme britannique et les galéjades des Monty Python… Mais le fait que le projet soit d’origine montréalaise aidait certainement à s’engager dans l’aventure avec un esprit plus ouvert.Mal nous en prit, malheureusement.
Car si l’idée de base, tel que précédemment mentionné, est fort intéressante, l’exécution, elle, laisse fortement à désirer. Mécaniques de combat, d’actions silencieuses, de création d’objets, d’exploration, de gestion d’inventaire, ou encore la gestion de la faim, de la soif et du sommeil… We Happy Few mélange allègrement les genres, combinant la survie à la tactique, en passant par l’action pure et simple et l’aventure avec une composante rôlesque. A-t-on vu trop grand? La version test du jeu, avec un seul niveau à explorer en mode « bac à sable », avait été plus ou moins bien accueillie, et la sortie du jeu avait par la suite été repoussée.
L’arrivée de l’éditeur Gearbox n’avait pas non plus contribué à rassurer le public, le geste permettant certainement d’obtenir de l’aide technique et financière nécessaire pour compléter le jeu, mais le changement avait également entraîné la hausse du prix du jeu financé en partie par Kickstarter, faisant passer de 30 à 60$ la somme réclamée. De quoi faire grincer des dents devant un jeu « indépendant » réclamant soudainement un prix habituellement accolé aux titres « AAA » des grands studios.

Les aventures d’Arthur
Et le jeu, dans tout ça? La multiplicité des mécaniques laissait déjà présager des séances consacrées à s’assurer de bien manger, de bien dormir, de bien boire… Hélas, il ne s’agit là que d’un aspect des nombreux problèmes qui rendent au mieux We Happy Few ennuyant, au pire franchement non recommandable.
Si les voix des personnages sont franchement très bien rendues et enregistrées, tout le reste est un peu à l’avenant. Ralentissements graphiques, engin physique qui s’amuse à faire preuve d’autonomie, sons parfois absents, intelligence artificielle parfois risible, missions répétitives… Impossible de savoir si le produit fini correspond majoritairement à ce que les créateurs envisageaient, au début du processus, mais cette virée dystopique avec Arthur, le personnage principal qui s’occupe de faire disparaître des articles des archives des journaux – dans un clin d’oeil évident à 1984, de George Orwell -, prend des allures de samedi pluvieux.
Tout n’est pas à jeter, dans ce We Happy Few. À travers le tintamarre, le télescopage de genres, on discerne les fondations solides sur lesquelles ont travaillé les gens de Compulsion Games. Mais les fondations ont beau être présentes, ce qui compte, lorsqu’il est question d’un produit culturel commercial, c’est l’édifice qui s’érige à la surface. Et dans le cas de ce titre, hélas, la structure ressemble à s’y méprendre aux demeures détruites durant la guerre et abandonnées où s’entassent les exilés de la dystopie psychotrope de We Happy Few.
We Happy Few
Développeur : Compulsion Games
Éditeur : Gearbox Publishing
Plateformes : Windows, PlayStation4, Xbox One, Nintendo Switch (testé sous Windows)
Jeu disponible en français (interface et sous-titres)