S’il est facile d’émouvoir en ayant recours à des animaux mignons et adorables, il faut un talent exceptionnel pour rendre attachantes des créatures abjectes qui méritent habituellement notre dégout, et c’est précisément la force de Rat & les Animaux moches.
Bien qu’il soit des plus serviables, le pauvre Rat finit immanquablement par être chassé à grands coups de balai des endroits où il s’installe. Fatigué d’être traité sans cesse de « malpropre » et de « dégoûtant », le rongeur offusqué décide de s’éloigner un peu des régions peuplées. Au fil de ses errances, il découvre un endroit isolé dans la forêt, nommé le Village des animaux moches qui font un petit peu peur. Si les hideux habitants l’accueillent sur-le-champ comme l’un des leurs, rapidement, Rat s’aperçoit que ses nouveaux amis sont souvent tristes et déprimés d’avoir ainsi été rejetés par le monde entier. Dès lors, il se consacrera à leur trouver chacun une maison, une utilité, et surtout, de l’amour.
Avec une plume remplie de poésie (« Parfois, la nuit porte chagrin ») et d’humour (« J’espère que vous êtes nombreux, sinon tu as des tas de gros yeux »), l’auteure jeunesse Sibylline propose une fable contemporaine aussi pertinente que touchante sur la tyrannie de la beauté, et notre façon d’accorder un peu trop d’importance aux apparences, dans Rat & les Animaux moches. Aux antipodes d’un Disney, spécialisé dans l’adorable, le roman graphique s’attarde plutôt aux créatures répugnantes qui reçoivent habituellement peu d’affection, parmi lesquelles des limaces baveuses, des araignées velues, des serpents, des tiques, des sangsues, et même des scolopendres!
Les dessins en noir et blanc de Jérôme d’Aviau combinent le lugubre et le naïf, et ses textures hachurées au crayon donnent aux illustrations un côté vieillot qui sied très bien à une fable. Ses bestioles sont à la fois laides et sympathiques, comme son poisson hideux se déplaçant dans un bocal à roulettes ou son bousier roulant sa boule de merde, et bien que le village où habitent ces animaux rejetés soit un vrai dépotoir où les poupées désarticulées côtoient les bols de toilettes et autres détritus, l’endroit n’est pas dénué de charme. Les illustrations sont libres sur les planches, sans cases, et au lieu de bulles, l’artiste place une petite icône de l’interlocuteur à côté de sa phrase.
Rat & les Animaux moches propose également un lien Internet pour télécharger gratuitement une version audio du livre. Malgré sa facture un peu vieillotte, le roman graphique met à profit la technologie d’aujourd’hui. On peut apercevoir une petite fourmi dans le bas de plusieurs pages. En la scannant à l’aide d’une tablette ou d’un téléphone intelligent, on accède à une dimension supplémentaire, alors que les dessins prennent vie sous nos yeux grâce à la réalité augmentée. Un carnet de croquis termine l’album.
Parler de beauté et d’inclusion à travers une série de créatures hideuses que le reste de la société a rejeté est une excellente idée, et pour cette raison, Rat & les Animaux moches constitue une fable moderne et iconoclaste qui devrait charmer les petits, comme les grand enfants.
Rat & les Animaux moches, de Sibylline, Capucine et Jérôme d’Aviau. Publié aux éditions Delcourt, 208 pages.
Un commentaire
Pingback: Critique Rat & les Animaux moches - Patrick Robert