Une durée de plus d’une heure et demie pour un film peut décourager plusieurs spectateurs. Le département de neurosciences de l’Université de Barcelone et celui de l’Université de Pablo de Olivade (UPO) à Séville, ainsi que la chaîne de télévision espagnole RTVE, ont développé une méthode pour raccourcir la durée du contenu visuel sans perdre l’essentiel, rapporte El Pais le 20 juin.
«Avec cette technologie, on peut savoir quand le spectateur a arrêté de percevoir l’image comme si c’était la réalité. Ce n’est pas tout qui se rend à notre cortex cérébral en provenance de la perception visuelle qui atteint un niveau cognitif, puisqu’il faut que l’information se rende, à travers d’autres structures, au lobe préfrontal. Le clignement des yeux permet de le savoir», affirme le directeur du département de neurosciences de la UPO, José María Delgado.
Le système inclut l’électromyogramme pour analyser le registre de clignement des yeux comme marqueur d’attention, ainsi que l’électroencéphalogramme pour enregistrer l’activité cérébrale pendant le visionnement de contenus. Les résultats peuvent être une clé pour améliorer l’efficacité du message audiovisuel, qui peut se centrer dans quelques séquences et rythmes qui se rendent au spectateur.
À travers diverses recherches, le docteur Delgado et ses collaborateurs ont analysé les réactions à un seul plan de longue durée, à des montages de 30 secondes et à d’autres messages créés avec des images superposées de quelques secondes appelés «style MTV», faisant allusion aux vidéoclips diffusés par la chaîne de télévision. Dans les séquences d’action dans lesquelles les voitures volent ou les séquences de combat, même si elles n’ont pas été filmées au complet, la succession d’images peut être perçue en peu de temps comme étant réelle.
Le clignement des yeux est fondamental parce qu’il agit comme un changement de plans. Il n’a pas seulement une fonction physiologique, pour protéger l’œil, mais aussi psychologique par l’interruption de la séquence visuelle et en affectant notre perception et notre attention. À l’inverse, assister à la scène sans cligner des yeux fait en sorte que cette séquence se perçoit comme une séquence complète.
«Nous essayons de voir comment le cerveau perçoit comme continue une réalité discontinue», explique le docteur Delgado.
Si les montages épileptiques et les séquences musclées permettent de déceler le rôle du muscle qui ouvre et ferme l’œil dans la perception, il ne faudrait pas omettre la façon dont la lumière entre dans l’œil.
À l’origine de la photographie, la chambre noire recrée l’œil afin de capter et de donner à voir des images. Le mouvement s’ajoute avec le cinéma.
Amplitude
Il est vrai que si des réalisateurs de superproductions se lancent dans la réalisation de plus d’une heure et demie de film, ils mettent le public à l’épreuve parce qu’ils n’ont pas le talent pour assurer une telle durée. Le réalisateur ne saura aborder cette amplitude, le public va sentir une répétition au niveau du style et l’expérience sera lassante. Par contre, le choix d’une longue durée se justifie artistiquement.
Le directeur de la photographie méticuleux Zhang Yimou du film chinois Terre jaune (1985) montre en long et en large le territoire d’où provient Mao Zedong, son aridité qui condamne les paysans et le chant de la jeune fille qui ne trouve écho dans ses étendues. Sifflement au milieu du désert, l’harmonica d’Il était une fois dans l’Ouest (1968) de Sergio Leone constitue l’intrigue.
Le cinéma russe s’étire en longueur pour de bonnes raisons. Andrey Zvyagintsev prend le temps de planter l’isolement d’un village perdu dans Leviathan (2014), alors que les cinématographies d’Alexandre Sokourov et d’Andrei Tarkovsky reposent sur une errance dont le sens de l’œuvre relève de la contemplation. Idem pour Paris,Texas (1984) de Wim Wenders.
N’empêche que la méthode pourrait faciliter le visionnement de la multitude de films cultes et de série B en nous servant un condensé des scènes-clés. Par contre, priver la cinématographie de John Waters de ses détails croustillants ou hachurer l’ambiance des films de David Cronenberg reviendrait à extraire les bulles du champagne de ce type de cinéma.
Les spectateurs qui ne sont pas sensibles à la dimension visuelle du cinéma, trop habitué à se faire raconter des histoires par un scénario désincarné, y verront un avantage à visionner les longs films de Stanley Kubrick dans un condensé de quelques minutes à la manière d’un vidéoclip d’Eminem ou d’un film de superhéros.
Au lieu de vouloir améliorer le média social Instagram, ces chercheurs en neurosciences ne pourraient-ils pas trouver un moyen de favoriser la contemplation afin qu’on puisse faire la différence entre un cliché de photographe et un vulgaire égoportrait?
Ainsi, ils contribueraient à décharger le média social Facebook, ce qui inciterait peut-être les annonceurs à réinvestir dans la presse et par ricochet, dans le photojournalisme.
En complément:
https://www.pieuvre.ca/2018/06/20/instagram-explore-les-longs-formats-video/
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