Hollywood frappe à nouveau, et ne peut se contenter de laisser les œuvres de qualité supérieure se satisfaire d’elles-mêmes. Voilà donc qu’on doit s’empresser d’offrir une suite au magnifique Sicario de Denis Villeneuve, en ouvrant la voie à ce qui pourrait bien devenir une trilogie, alors que les idées de Taylor Sheridan finissent par perdre de leur superbe sans la prise en charge visionnaire d’un de nos Québécois favoris.
En quelques projets seulement, Taylor Sheridan nous a vite prouvé que sans l’apport d’un réalisateur de talent, ses idées peuvent rapidement tomber dans le ridicule, ce qui s’est certainement fait sentir lorsqu’il nous a livré le fade Wind River, immensément boiteux en comparaison au sublime Hell or High Water de David Mackenzie et, bien sûr, le Sicario de Denis Villeneuve, probablement son projet américain le plus convaincant et abouti.
Ce dernier étant fortement recherché et propulsé vers les confins de la science-fiction, on a dû trouver un nouveau réalisateur capable de retrouver le style premier qui a su faire la marque de ce suspense singulier. On a ainsi décidé, après plusieurs va-et-vient, de confier le projet, et du même coup la très lourde tâche, au réalisateur italien Stefano Sollima, pas étranger à l’univers des mafias et des policiers, mais bien plus reconnu pour son travail télévisuel.
Le voici donc à devoir succéder, avec ses collègues, à des noms assez imposants. Hildur Guðnadóttir a beau avoir travaillé avec Jóhann Jóhannsson, il n’a pas le même talent, au même titre que Dariusz Wolski, grand collaborateur de Ridley Scott, n’est même pas comparable à Roger Deakins. Bien sûr, Josh Brolin et Benicio Del Toro reprennent leur rôle avec vigueur, mais sans la surprise, la passion ne semble pas être autant au rendez-vous, surtout que leurs personnages sont davantage dépassés et désemparés. Et si l’on essaie de retrouver l’équilibre du premier film en essayant d’y insuffler une force féminine, il est carrément impossible de remplacer toute l’énergie explosive dont faisait preuve Emily Blunt dans l’opus précédent.
Cela n’aide pas quand on réalise que le film a tout à la fois trop et pas assez de choses à dire, y développant un film choral qui s’éparpille dans ses multiples avenues, avant de finalement les forcer à se croiser. Tentant de mimer toutes les techniques de Villeneuve dans le rythme très lent et méthodique, les vues aériennes, les poursuites chaotiques et on en passe, le film semble constamment en train de se chercher sa personnalité, en essayant maladivement, en parallèle, d’essayer de reproduire l’excellence que Villeneuve avait atteinte, sans pour autant comprendre les principes, l’utilité et les raisons d’être de cesdits procédés.
En se permettant d’approfondir la sensibilité d’ensemble (le premier se concentrait pratiquement essentiellement sur l’incompréhension et l’agir), le film tombe rapidement dans la caricature (on pense à lorsque dans le segment qui évoque Logan, l’homme et l’enfant se font héberger par un « ange ») et on se rend compte assez vite qu’il n’y a décidément aucun destin, ici, qui nous intéresse vraiment. On comprend bien sûr l’importance de la jeunesse, de la notion d’héritage, de la nécessité de toujours former de nouvelles générations, tout comme ces histoires de guerre, d’incompréhension, cette réflexion sur le terrorisme et cette idée pourtant prometteuse de ne plus se cacher derrière les règles pour maximiser les possibilités.
Malheureusement, le film ne tire profit d’aucune de ces opportunités, et au-delà des clins d’œil et des références à son prédécesseur, il s’embourbe assez aisément dans les inutilités, les multiples détours et les revirements qui ne font aucun bon sang. La dernière ligne droite est un exemple carrément aberrant de non-sens, dont on ne peut s’empêcher de rire à plein régime, la réaction la plus inattendue dans un film dont la tension fait constamment battre notre cœur, alors qu’il essaie de déjouer nos attentes et de prôner la brutalité.
Sicario: Day of the Soldado va donc tout à la fois trop et pas assez loin, montrant un nouveau niveau de médiocrité dans l’interminable liste de suites inutiles auxquelles on a fait face, redonnant du prestige à de mauvaises idées comme The Matrix Reloaded, mais sans pour autant égaler une tentative aussi pathétique que le Pacific Rim: Uprising enduré plus tôt cette année. Il en a toutefois la même technique, soit ce désir de refaire pratiquement tout ce qu’on avait aimé du premier tour de piste, en trouvant avec fascination la manière exacte de nous en ruiner l’appréciation. Un tour de force dont on se serait volontiers passé.
4/10
Sicario: Day of the Soldado prend l’affiche ce vendredi.
En complément:
https://www.pieuvre.ca/2018/06/28/la-chute-de-lempire-americain-arcand-a-la-conquete-du-vrai-monde/