On parle beaucoup de l’emprisonnement des enfants d’immigrants illégaux aux États-Unis par les temps qui courent, mais ce n’est pas la première fois que nos voisins du Sud briment les droits des mineurs, comme le montre Guantànamo Kid, une bande dessinée racontant l’histoire tristement vraie du plus jeune détenu de Gitmo.
Mohammed El-Gorani n’est peut-être pas le seul mineur incarcéré à Guantànamo suite aux attentats du 11 septembre, mais il détient toutefois « l’honneur » d’avoir été le plus jeune détenu de toute la prison. Envoyé à Gitmo à l’âge de quatorze ans, le jeune homme, qui se trouvait au mauvais endroit au mauvais moment, passera une décennie dans ce no man’s land juridique, sans être accusé de quoi que ce soit. Suite à sa libération en 2010, le journaliste Jérôme Tubian l’a rencontré au Tchad, et avec la collaboration de l’illustrateur Alexandre Franc, il partage maintenant son histoire dans Guantànamo Kid, un roman graphique qui va droit au cœur.
De son arrestation au Pakistan par des services secrets qui recevaient 5 000 dollars par suspect remis aux autorités américaines en passant par son transfert sur une base militaire de Kandahar (où il sera traité de « sale nègre » pour la première fois de sa vie), puis son long séjour à Gitmo et sa libération plus d’une décennie plus tard, Guantànamo Kid est d’abord le récit d’une monstrueuse injustice. Une simple enquête aurait pu innocenter Mohammed El-Gorani, accusé d’avoir fait partie d’une cellule terroriste à Londres à 1993 alors qu’il n’avait que… six ans, mais l’adolescent devra traverser un véritable enfer avant d’être libéré, et stigmatisé pour le restant de ses jours par les soupçons de terrorisme.
Bien que les illustrations de Guantànamo Kid soient en noir et blanc, l’histoire présentée ici n’est pas manichéenne, loin de là. Le roman graphique ne peut évidemment passer sous silence la torture subie par les prisonniers, sous forme de chocs électriques ou de chanson-thème de Barney le dinosaure jouant en boucle, mais c’est surtout la résilience de Mohammed El-Gorani, qui tiendra tête plus d’une fois à ses geôliers pour que lui et les siens obtiennent un minimum de droits, qui est mise de l’avant. La bande dessinée va même jusqu’à présenter la complicité s’étant établie entre certains gardes, plus humains que les autres, et les détenus.
Avec son trait stylisé et ses personnages arrondis, les illustrations d’Alexandre Franc atténuent un peu la dureté du propos, et ajoutent une couche de poésie à un récit qui aurait facilement pu s’avérer glauque. En utilisant savamment les zones de noir, il augmente l’intensité dramatique de certaines scènes. Dans de brefs instants de liberté, ses dessins se sortent de la prison de la case, et prennent d’assaut la page entière. Pour appuyer le côté documentaire, la composition graphique intercale des schémas d’intervention provenant du manuel des gardes de la prison, des cartes de Guantànamo, des extraits de documents légaux, et même des déclarations de membres du Pentagone ou de l’État-Major de l’armée américaine.
Touchant, puissant et magnifiquement illustré, Guantànamo Kid se hisse parmi les meilleurs romans graphiques de l’année. Il s’agit d’une grande bande dessinée, dans la lignée de Persépolis et de Maus.
Guantànamo Kid, de Jérôme Tubiana et Alexandre Franc. Publié aux éditions Dargaud; 172 pages.
2 commentaires
Pingback: Critique Guantànamo Kid - Patrick Robert
Pingback: La ménagerie magique de Sorceline