Chaque année, le festival Fringe St-Ambroise donne à voir de tous types de performances. C’est avant tout une plate-forme fantastique pour la relève artistique et théâtrale. À cette occasion, La Débarque, pièce dramatique de Thierry Leblanc, mise en scène par Pénélope Deraîche-Dallaire, prenait le Studio Jean-Valcourt d’assaut, au Conservatoire d’art dramatique de Montréal.
Bruno a été arrêté. Il attend l’arrivée d’un avocat pour parler. On ignore la raison de son arrestation, mais il débute son adresse au public en se réclamant agresseur sexuel. Entre la salle d’interrogatoire et les scènes de ses souvenirs, on apprend peu à peu les gestes et pensées qui l’ont construit, qui l’ont mené où il en est, maintenant.
Pénélope Deraîche-Dallaire est actrice, auteure, metteuse en scène. Son travail autour de cette création est épuré, simple. Alors qu’on assiste à l’interrogatoire de Bruno, celui-ci est représenté sur son vélo. Bruno pédale en continu, alors que les souvenirs refont surface et qu’on accède aux pièces du casse-tête dont l’image globale ne se révèlera qu’au dernier instant de la courte représentation.
Bien que Thierry Leblanc se dirige l’an prochain en écriture à l’École nationale de l’humour, ce premier texte du comédien (UQAM 2015), aborde le sujet sensible de l’agression sexuelle. La pièce fait écho au phénomène #metoo qui n’a de cesse d’éveiller les consciences et d’animer les discussions. Le sujet, traité avec grande délicatesse, nous intéresse ici de par la prise de parole masculine sur les limites de l’engagement possible : De quelle manière protéger sans paterniser, comment prendre conscience et s’excuser sans glisser vers l’égocentrisme? Quel est le poids véritable des gestes posés et comment les adresser, des années trop tard? Comment aider quand on se croit également coupable?
La prudence de l’auteur est telle qu’on frôle parfois un ton moralisateur, que la forme narrative met en exergue en offrant des scènes d’un jeu très réalistes à l’appui du témoignage de Bruno, parfois factuel. Ainsi, on fait état du ressenti du personnage beaucoup plus qu’on y accède par le jeu des comédiens. Dans cette création, le drame des victimes n’est pas exclu, bien au contraire, mais le but de l’œuvre semble beaucoup plus d’exposer l’ensemble des considérations possibles sur le sujet que de suivre le parcours émotif du personnage principal.
Le défi d’aborder l’agression sexuelle (de femmes) depuis l’angle masculin est somme toute réussi. On entend les malaises et frustrations, d’autant plus accessibles que Bruno n’est pas un personnage qu’on veut détester, mais qui, lui-même, veut s’améliorer et agir. Le texte appelle à la réflexion, sans prendre de grands risques pour autant.
Le premier rôle, presque entièrement monologué, était soutenu par Solo Fugère, formé en interprétation à l’UQAM et que vous aurez vu dans la première mouture de Fredy (Annabel Soutar) et dans Rêves, Chimères, Mascarade (Omnibus). La structure du vélo stationnaire le maintenant relativement fixe dans l’espace (une majorité du temps), l’essentielle de l’attention du public ne pouvait être portée que sur le rythme et le jeu du comédien à qui revenait la plus grande charge du texte. La débarque lui demandait de l’aplomb, très soutenu, mais aussi une maitrise du texte et de ce genre de narration, qui semblait parfois plus fragile. À ses côtés, Lamia Benhacine et Thierry Leblanc, très justes, cumulaient tous les autres rôles.
Le festival Fringe est un « revenez-y » avec ses prix très bas et la quantité de propositions qu’il offre. Pour entrer en conversation avec la relève artistique et théâtrale de Montréal, tant francophone qu’anglophone, ce sera un rendez-vous, de nouveau l’an prochain!