Dans le Londres de la reine Victoria, un drame se trame. Une jeune femme, poursuivie par un enquêteur américain, se serait donné la mort en sautant du haut d’un pont. Au même instant, un mystérieux négociant en antiquités arrive dans la capitale britannique, justement désireux de retrouver cette même jeune femme après une absence de 10 ans.
Ainsi débute L’homme aux deux ombres, un roman de Steven Price traduit dans la langue de Molière et publié aux éditions Alto. À travers les méandres de la métropole sale et polluée – plus près des horreurs d’Oliver Twist que des splendeurs royales -, nos deux hommes voient leur destin s’entremêler alors qu’ils cherchent tous deux à comprendre ce qui a bien pu se passer pour que la femme, Charlotte, se retrouve découpée en morceaux.
Au-delà de l’enquête, toutefois, le détective américain, William Pinkerton, est surtout à la recherche d’Edward Shade, un bandit qui tremperait dans bon nombre d’affaires louches depuis la Guerre de Sécession, une vingtaine d’années auparavant. Et le négociant en antiquités, Adam Foole, veut en finir avec de vieilles dettes, alors qu’il est terrassé par la perte de celle qu’il aimait.
On pourrait penser, à voir comment les personnages sont détaillés, que cette course à la vérité sera une aventure rocambolesque rassemblant diverses caractéristiques scénaristiques puisant dans autant de lieux et d’époques aussi intrigants les uns que les autres. Après tout, ce n’est pas tous les jours que l’on évoque, dans un seul roman, les boucheries de la Guerre de Sécession, des cambriolages risqués dans les terres sauvages d’Afrique du Sud et les mystères policiers d’une ville de Londres rappelant Jack l’éventreur et les mystères fantastiques de Drood, de Dan Simmons.
Impossible de nier le fait que Steven Price sait y faire pour planter un décor et évoquer le passé de ses personnages. Les époques, les scènes, les échanges sont décrits de façon minutieuse, les péripéties sont enlevantes… Bref, on en redemande.
Ce qui cloche, c’est le déroulement de l’histoire dans le Londres contemporain. Enfin, contemporain… contemporain pour nos personnages, dira-t-on. Outre les descriptions des fiacres, du brouillard pollué et des allées sombres et sales, il ne s’y déroule pas grand chose. L’enquête sur la mort de Charlotte piétine pendant au moins la moitié des 700 pages et des poussières de cet Homme aux deux ombres, et l’action ne commence à lever qu’au dernier tiers du roman. Difficile, dans ces conditions, d’éprouver un intérêt marqué envers la pseudo intrigue se trouvant supposément au coeur du roman.
Peut-être aurait-il fallu découper le livres en plusieurs parties? Quoi qu’il en soit, L’homme aux deux ombres a parfois davantage des airs de calvaire que de divertissement. D’autant plus que, fait en apparences sans grande importance mais qui s’avère néanmoins agaçant, le livre ne contient aucune ponctuation pour signifier l’existence d’un dialogue. Pas de guillemets ou de tirets demi-cadratin. On pourrait croire à une facétie de l’éditeur, mais la chose donne aux livres des airs de travail incomplet.
Tout cela est bien dommage.