Dans la tourmente d’une certaine redites dans nos téléséries québécoises se cachent par moment des petits bijoux, et ICI Radio-Canada surprend à nouveau avec l’impressionnante première saison de Faits divers, captivant projet provenant de la collaboration de l’auteure Joanne Arseneau et du réalisateur Stéphane Lapointe dont l’union fait carrément des étincelles.
À priori, il ne faut pas chercher l’originalité dans cette production. Il s’agit définitivement d’une série policière conventionnelle où meurtres et enquêtes s’entrecroisent et jouent par accumulation d’épisodes en épisodes. Et pourtant, tout dans l’exécution, autant dans le fond que la forme, forge l’appréciation.
Face à un titre qui s’explique de lui-même, s’inspirant d’une farandole de véritables faits divers récoltés ici et là dans différents journaux, l’auteure parvient à tisser une série qui captive dès les premières secondes, l’intérêt s’avérant grandissant au fil des minutes et des épisodes et, le plus important, qui demeure réussie et finement ficelée jusqu’à sa conclusion. Décidément une denrée rare dans les petits écrans! Parlez-en à la conclusion précipitée de l’inimitable et malgré tout exceptionnelle première saison de True Detective.
Mieux, avec un souci du détail des plus minutieux, l’histoire enchaîne les absurdités (un poste de police où toutes les employées sont enceintes en même temps!) et les situations imprévisibles (une scène d’anthologie qui se réapproprie la théorie de la bombe de Hitchcock) en bénéficiant de truculents dialogues qu’une distribution exemplaire se donne un plaisir fou à livrer. D’ailleurs, l’humour savoureusement noir n’est pas sans rappeler l’incroyable et détonnant sens de la réparti qu’on retrouve habituellement dans les productions de Jean-François Rivard et François Létourneau à qui l’on doit les brillants Les Invincibles et Série Noire.
L’auteure Joanne Arseneau n’en est d’ailleurs pas à son premier projet de prestige, elle qui a travaillé notamment avec Podz (la première saison de 19-2), Érik Canuel (La loi du cochon) et Francis Leclerc (la deuxième saison de Les Rescapés). Maîtrisant mieux que jamais son habileté à doser et jongler avec le drame humain et l’humour discordant, son association avec le cinéaste Stéphane Lapointe, amateur évident de Breaking Bad, cinéphile au flair visuel indéniable (les surprenants La vie secrète des gens heureux et Les maîtres du suspense), demeure de loin sa plus réussie en carrière. Ce, alors que ce dernier continue d’impressionner peu de temps après avoir magnifié la première saison de Lâcher prise, celle-ci dont l’absence s’est fait gravement sentir lors de son deuxième tour de piste.
Sans exagérer les élans de style, la réalisation est très appliquée et profite d’une mise en scène cadrée au quart de tour, se concentrant intelligemment sur les indices dispersées ici et là pour éclaircir ou brouiller les nombreux mystères, le tout savamment aidé par un excellent montage et les envoûtantes compositions de Jonathan Cayer. Comme quoi, si la structure appartient bel et bien au monde de la télévision (en profitant pleinement des possibles du médium et de l’opportunité de laisser le microcosme prendre son temps à judicieusement se développer et s’enrichir tout en alternant les destinées parallèles quoiqu’intrinsèquement reliées malgré eux de manière jubilatoire au fil de dix merveilleux épisodes), il y a beaucoup de cinéma dans cette série alors qu’une énorme majorité des scènes donnent dans l’art, celui qui élève indubitablement cette œuvre dans une classe à part.
Bien sûr, le ton, les lieux, la majorité des contextes socio-culturels sont fort québécois et de chez nous, mais l’inspiration a certainement l’élégance, l’audace et l’ambition de ce qui se fait partout dans le monde, comme en Europe et aux États-Unis, à HBO ou même FX par exemple.
Heureusement, comme dit précédemment, tout ce talent technique ne se fait pas au détriment des comédiens alors que des plus petits rôles à ceux plus imposants ils s’amusent follement à défendre cette galerie impressionnante de personnages plutôt niaiseux qui sans s’en rendre compte se mettent toujours plus les pieds dans les plats. Bon, Louis Champagne, Mylène Mackay et l’insaisissable Marie-Ève Beaulieu sont plus limités dans leur registre, mais sinon, c’est la totale.
Sans surprise, Isabelle Blais brille dans le rôle-titre et elle est habilement entourée des Émile Proulx-Cloutier, Fabien Cloutier, Patrick Hivon, Francis LaHaye, Fred-Éric Salvail, Maxime Mailloux et cie, alors que le plus rare Jean-Pierre Bergeron impressionne et que Emmanuelle Lussier-Martinez continue d’enchanter après sa grande performance dans Les mauvaises herbes. Et si le vétéran Guy Nadon est toujours une valeur sûre, surtout à contre-emploi, l’épatante Alexa-Jeanne Dubé crève complètement l’écran en s’imposant fortement comme une énorme révélation.
Bref, vanter les mérites de Faits divers devient un exercice sans fin tellement cette magnifique télésérie se dévore et se savoure sans le moindre mal, démontrant grandement le meilleur de ce que le talent d’ici peut offrir. Mieux, le DVD contient l’option « en continu », l’occasion idéale de se lancer dans l’aventure et de s’y perdre avec le plus grand bonheur. On a peu de mal à croire que vous y prendrez assez rapidement goût tout en comprenant pourquoi le tout est rapidement devenu le succès qui suit sa réputation des plus méritée.
8/10
La première saison de Faits divers est disponible en DVD via Unidisc depuis le mardi 15 mai dernier. La deuxième saison est présentement en tournage et devrait être diffusée d’ici l’an prochain.