Il y a 650 millions d’années, vivait dans les océans une petite bestiole qui fut peut-être l’ancêtre de tous les animaux d’aujourd’hui, nous y compris. Et cette bestiole serait venue avec quelque chose d’étonnamment durable: jusqu’à 55% de nos gènes étaient peut-être déjà présents dans ce tout premier animal.
Ce chiffre ne provient pas de l’analyse du génome de cet animal — personne n’a retrouvé un tel fossile, et quand bien même l’aurions-nous sous la main, aucune parcelle de la molécule d’ADN ne pourrait survivre aussi longtemps. Mais des généticiens viennent de compléter un exercice inédit: reconstituer à quoi pouvait ressembler cet ADN, grâce aux milliers de génomes d’animaux désormais à notre disposition, combinés à ce que nous savons de l’arbre généalogique des espèces.
Une partie de leur travail signifie que le grand mystère du passage de la vie unicellulaire — des êtres composés d’une seule cellule — à la vie pluricellulaire — le ver de terre, la baleine et nous — résiderait dans plus de 1100 nouveaux gènes qui, du coup, se sont révélés extrêmement résilients puisque, 650 millions d’années plus tard (et probablement depuis plus longtemps), ils sont encore là. « Nous soutenons que des changements génomiques internes furent aussi importants que des facteurs externes pour expliquer l’émergence des animaux », écrivent les Britanniques Jordi Paps et Peter Holland dans Nature Communications.
Ce qui ne veut toutefois pas dire que ces gènes soient tous apparus à la même époque: des « proto-animaux » auraient pu accumuler progressivement ces gènes pendant des centaines de millions d’années, jusqu’à ce que des changements dans l’environnement de la planète ne procurent à cette branche de l’évolution un avantage sur les autres. Autant la biologie que la paléontologie ont encore beaucoup de mal à écrire l’histoire de l’évolution d’une période allant, en gros, d’il y a 1,5 milliard d’années à il y a 650 millions d’années — une époque où la vie commençait vraisemblablement à se complexifier, mais qui, faute de squelettes, a laissé très peu de fossiles.
Plusieurs de ces gènes sont associés à des processus communs déjà connus : par exemple, l’humain et le requin produisent de l’hémoglobine à partir de gènes presque identiques. Ou, plus largement, les gènes impliqués dans « l’adhérence cellulaire », ou dans « la régulation du cycle cellulaire », deux mécanismes communs à tous les êtres pluricellulaires.