Nul doute possible quant à l’engouement suscité par ce conte de fées indémodable: c’était une salle Wilfrid-Pelletier derechef comble qui accueillit sur scène le Ballet national d’Ukraine en clôture de la saison 2017-2018, la même troupe qui avait subjugué le public montréalais avec son Mariage de Figaro le printemps dernier.
N’est pas mince la tâche de disséquer ce ballet davantage reconnu pour son adaptation cinématographique que pour sa trame sonore, à l’opposé des Carmen, Casse-Noisette et Lac des cygnes de ce monde, dont plusieurs des mouvements sont maintenant des pierres angulaires de la musique classique grand public.
En l’absence d’orchestre, c’est donc au son des cordes et des cuivres stéréophoniques de Sergueï Prokofiev que se déploya sous nos yeux ce conte emblématique. Le virtuose signe ici sa composition la moins soviétique, ponctuée d’adagios homogènes, toute en délicatesse.
« Ce que j’ai voulu exprimer avant tout par la musique de Cendrillon est l’amour poétique de Cendrillon et du Prince, la naissance et l’éclosion de cet amour, les obstacles dressés sur son chemin et, finalement, l’accomplissement d’un rêve. » – Sergueï Prokofiev, inspiré par le maître du romantisme russe du XIXe siècle, Piotr Ilitch Tchaïkovski
La genèse de l’histoire s’installe sans long préambule: Cendrillon se fait malmener par le méprisable trio composé de sa belle-mère et ses demi-sœurs. Très vite la fée-marraine, telle une vision onirique, fait son apparition et consent à Cendrillon d’assister au grand bal du printemps vêtue de ses plus beaux atours. Elle y tombera follement amoureuse d’un charmant prince, y laissant même derrière elle un soulier de verre dans l’émoi — coup de minuit oblige — de son départ précipité. Ledit prince sillonnera mers et mondes à la recherche du pied appartenant à cette mystérieuse chaussure. Naturellement, ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants.
Il faut d’ores et déjà noter que le ballet chorégraphié par Victor Litvinov est extrêmement fidèle à la version initiale du conte de Charles Perrault.
Les puristes se réjouiront de ce choix convenu, alors que la plupart des évocations meublant l’imaginaire collectif sont issues du film animé de 1950; or, c’est pourtant l’un des principaux défauts de l’œuvre, puisque ces détails, aussi disneyesques soient-ils, devenus de véritables emblèmes et renfermant un énorme potentiel d’enchantement, ont été largement laissés pour compte.
Aucune mention des chevaux ni du carrosse, coup de minuit fatidique malhabilement mis en scène… en bref, une proposition manquant globalement de tonus, même en ce qui a trait aux décors et aux costumes, plutôt quelconques.
Quelques qualités
Heureusement, ce n’est pas tout faux.
La bienveillante fée, incarnée par Anastasiia Shevchenko, se mérite une mention d’honneur, étant dotée d’une remarquable grâce la faisant presque flotter sur scène, éthérée et céleste. Chapeau.
Dans l’esprit d’un allégorie rassembleuse et loyale aux racines de l’art, Victor Litvinov a intégré la majorité des pas et figures escomptés tout en demeurant timide en volume — de nombreux piqués, dont un particulièrement vaste faisant le tour de la scène, des sauts de chat, des pirouettes fouettées bien entendu, et même d’étonnants sauts de basque. En matière de variété, c’est réussi.
Victor Litvinov se mérite également une acclamation pour l’inventivité de certains de ses enchainements, qui parfois rappellent le swing à l’américaine et même le flamenco. Quelques-uns des tableaux espiègles du second acte donnaient carrément dans l’humour et la dérision, une audace peu conventionnelle valant d’être soulignée au sein d’un cadre aussi classique que celui de Cendrillon.
Ultimement, si chacun des intermèdes laissait poindre l’espoir d’une suite plus soutenue, les minutes finales de Cendrillon seront, tristement, elles aussi teintées de déception. Où sont les portés? Les envolées à grand déploiement? Les arabesques? Où se trouve l’ensemble des danseurs? C’est une finale édulcorée qui conclut ce ballet en trois actes ponctué de longueurs – n’en déplaise à son compositeur – et qui a largement surestimé sa vivacité.
Le Cendrillon du Ballet national d’Ukraine s’adresse donc davantage à un jeune public ou, à tout le moins, aux novices du sixième art qui ne s’offusqueront pas de cette interprétation du conte de Charles Perreault somme toute un peu vanille et dépourvue d’envergure.
Plus d’informations sur Cendrillon, présenté par les Grands Ballets.