Le Nouveau théâtre expérimental (NTE) poursuit sa métamorphose dramaturgique par la présentation de la pièce de théâtre de science-fiction Alpha et Oméga, du 24 avril au 19 mai, à la station Espace libre. Le duo Alexis Martin et Daniel Brière a recruté le Zapartiste au regard de feu, Christian Vanasse, pour mener à bien l’entreprise, et sollicité le public via un processus interactif avant et pendant la pièce.
En 2040, notre monde est au bord de l’effondrement: rareté des ressources, déclin industriel, bouleversements climatiques et crise énergétique engendrent des conflits majeurs. Dans une tentative désespérée pour gagner du temps, le gouvernement a envoyé une équipe scientifique dans le Grand Nord québécois à la recherche d’un minerai rare, l’actium, qui pourrait résoudre la crise énergétique et apaiser les tensions mondiales. En fait, cette mise en situation n’est qu’un prétexte à une mise en contexte de l’ensemble du cinéma de science-fiction. On y retrouve HAL du film 2001: A Space Odyssey (1968), la radiation du film Solaris (1972), l’intérieur du vaisseau spatial de Star Trek (1979), la mémoire de robot de Blade Runner (1982), l’épice de Dune (1984), etc. Le trio de créateurs ajoute moins un autre scénario au corpus qu’il n’en fait une synthèse.
Au-delà des décors, des costumes et des effets spéciaux, le récit du film de science-fiction peut se résumer par un monde extraordinaire à travers lequel survient une anomalie justifiant la rébellion. En fait, ce cinéma met en scène l’avènement du nationalisme, c’est-à-dire le siècle des Lumières ou la découverte de l’Amérique, la monarchie qui tente de maintenir son emprise dans cette nouvelle conception du monde, ainsi que la réponse du peuple pour créer un ordre nouveau. La formule est efficace.
Cependant, bien que les Canadiens français aient subi les contrecoups de la Révolution française et de l’indépendance américaine, adopter ce type de récit comme étant le nôtre relève de l’aliénation même si l’on y voit un moyen de se soustraire de la monarchie britannique. Notamment par la synthèse, le trio de créateurs arrive à constituer un récit de science-fiction propre au Québec.
D’ailleurs, l’échange entre le mécanicien et l’androïde n’est pas sans rappeler l’échange entre le chamane et le prêtre de la trilogie L’Histoire révélée du Canada français, 1608-1998 (2014) du duo Alexis Martin et Daniel Brière. Cet androïde qui cite Nietzsche semble directement sorti d’un album de Kraftwerk de la période New Wave.
La quête de l’actium, n’est-elle pas un clin d’œil à l’inaction politique des Québécois quant à l’indépendance ou à un véritable fédéralisme ?
Cégépiens
Cette pièce de théâtre est interactive, c’est-à-dire que le public dans la salle est invité à faire des choix au moyen d’un téléphone intelligent ou d’une tablette électronique à plusieurs reprises pendant la pièce, des choix qui influencent le déroulement de la pièce. Seul parmi un groupe d’étudiants de niveau collégial devant assister à la pièce pour leur cours de création littéraire, j’ai eu droit à un double voyage dans le temps.
J’ai eu mon premier téléphone cellulaire après avoir terminé le cégep, puis la première fois que j’ai utilisé internet c’était pour aller chercher des photos pour un travail sur l’exil des Tibétains. Je me suis souvenu de l’expression de désarroi de la professeure d’introduction à l’anthropologie quand je lui ai remis le travail écrit à la main sur des feuilles gondolées par la colle. Alors que cette génération a grandi avec l’internet accessible sur leur téléphone intelligent. N’empêche que s’ils ont pu voir tous les reality show soumis à un système de votation, ma génération a dévoré les livres dont vous êtes le héros.
Avant le commencement de la pièce, les étudiants imaginaient tous les scénarios possibles au point de penser au complot. «Qu’est-ce qui va se passer si personne ne vote, la pièce va s’arrêter?», chuchote une étudiante à ses camarades dans l’excitation.
Ayant le choix entre un bulletin de nouvelles d’extrême gauche, de centre ou d’extrême droite, les étudiants se sont fait plaisir en optant pour la Femen enragée. Dans mon coin, j’aurais préféré rire de la droite. La majorité l’a emporté.
Ayant le choix d’une ambiance romantique en trois styles musicaux et trois accessoires, c’est clair qu’ils ont choisi le plus extravagant : sexy soul avec boule disco. La lutte était chaude au moment de choisir une chanson de karaoké. Martine St-Clair a vaincu Philippe Lafontaine.
Quand est venu le temps de choisir la fin de la pièce, l’option enviable du triomphe de la science semblait en avance tenant compte du décompte des clics, mais il y a eu un revirement. Ils se sont fait plaisir en optant pour les rebelles.
Les options modérées de la science et du partenariat public-privé étaient exclues lorsque le public a eu droit à une seconde fin.
Ils ont voté pour HAL.
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