Imaginons une société où les riches sont présentés comme des gens intelligents, dotés d’une intuition à toute épreuve, et où chacune de leurs paroles est considérée comme un commandement divin qui sera repris par une presse complaisante. Imaginons, maintenant, qu’un auteur, Stephen Leacock, pousse la chose à l’absurde et en tire un livre, et vous obtenez Au pays des riches oisifs, publié aux éditions Wombat.
Dans ce pays des gens riches principalement parce qu’ils sont riches, une version poussée à l’extrême des États-Unis des grands industriels et financiers du début du siècle, ou de la fin du siècle dernier, l’écrivain dépeint plusieurs saynètes où ces gens supposément intelligents et dotés d’un sens de l’intuition hors du commun apparaissent sous leur vraie nature.
Le lecteur a ainsi droit à des gens peu futés, crédules, voire des niais qui, nés avec une cuillère d’argent dans la bouche, ne savent plus quoi faire de leur temps et de leur argent. Il y a bien entendu certains de ces riches qui travaillent véritablement, qui dirigent peut-être leurs entreprises de façon tout à fait correcte. Mais dans ce livre, ceux-ci sont relégués aux oubliettes, aux coulisses des histoires.
À la lecture des différents chapitres, on sourit, on rigole même par moments, d’autant plus que certains personnages du film évoquent clairement l’image d’hommes riches contemporains qui, malgré l’absence d’expérience dans les domaines autres que celui des affaires, s’improvisent grands décideurs.
En fait Au pays des riches oisifs pose problème. Si la traduction française de cet ouvrage ne date que de cette année, l’ouvrage original, lui, est paru en… 1914! Cette information est particulièrement importante, puisqu’à l’aune de Pierre Karl Péladeau, ancien chef péquiste redevenu grand patron de Québecor, dont le poste de dirigeant du Parti québécois avait soulevé quantité de problèmes éthiques et de questions en matière d’objectivité de ses anciennes publications, à l’aune, surtout, de Donald Trump, dont le népotisme et la corruption sont plus qu’apparent, à l’aune, enfin, de tous ces dirigeants qui, aujourd’hui, continuent de penser qu’un gouvernement peut se diriger à la manière d’une entreprise, force est d’admettre que le message est peut-être un peu dépassé.
En situant le livre dans son contexte historique, toutefois, soit plus d’une décennie avant le Krach de 1929, avec une parution durant la première année de la Première Guerre mondiale, un conflit justement déclenché, entre autres, par l’avidité des grands industriels – et alors qu’on prétend que la civilisation occidentale a atteint un faîte économique et technologique -, Au pays des riches oisifs représente une critique cinglante d’une société qui se croyait tout permis.
À lire donc, peut-être davantage pour sa valeur historique que pour son ton qui, aujourd’hui, semblerait bien limité en comparaison des énormités proférées par les puissants de ce monde.
Au pays des riches oisifs, de Stephen Leacock, publié aux éditions Wombat, 235 pages.