Il est 8h et Jonjo Doe se prépare pour son quart de travail matinal durant lequel il vend Big Issue – l’équivalent britannique de l’Itinéraire, à Montréal. Arrivé à Cambridge il y a trois ans, après un bref passage en prison, il était sans abri, mais désireux de se rebâtir une vie. Vendre Big Issue était l’une des meilleures façons d’y parvenir; et, pendant un temps, ce plan a fonctionné.
« J’ai tendance à demander à tous ceux que je croise de m’en acheter une copie », a-t-il confié au Guardian. « La plupart des gens me disent « Je n’ai pas de monnaie » – ce à quoi je réponds que j’en ai, mais de plus en plus, les gens disent plutôt « Je n’ai que mes cartes ». »
Le problème de M. Doe est bien connu. Les paiements en comptant continuent de se faire plus rares au Royaume-Uni. En 2006, les pièces et billets de banque servaient dans le cadre de 62% de toutes les transactions financières. L’an dernier, ce taux est passé à 40%, et d’ici 2026, l’argent comptant ne devrait plus représenter que 21% des achats.
Voyant son gagne-pain lentement disparaître, M. Doe a acheté un lecteur de cartes sans fil. Les ventes se sont améliorées. Environ le quart de ses clients utilisent maintenant des cartes à puce, dit-il.
« Vous vendez des magazines plus rapidement parce que vous avez un lecteur de cartes », ajoute-t-il. « Cela vous donne plus d’énergie parce que vous avez davantage de temps, parce que vous finissez plus rapidement. Mais vous ne le réalisez pas sur le coup. Vous ne réalisez pas que cela vous aide à ce point. »
La société sans argent comptant ne fait pas que nuire aux revenus des gens comme Jonjo, elle menace carrément la façon dont plusieurs organisations caritatives effectuent leurs collectes de fonds. Selon Barclaycard, ces organismes perdront environ 160 millions $ en dons potentiels s’ils continuent d’utiliser leurs méthodes traditionnelles.
Pour les institutions qui viennent en aide aux sans abri, et alors même que le nombre de ces derniers augmente au Royaume-Uni, le message est clair. Tergiverser pourrait entraîner un manque à gagner; s’adapter à la nouvelle tendance pourrait permettre de puiser dans un nouveau bassin de donneurs potentiels.
Transformation
Pour le Rough Sleeping Partnership, la solution était évidente; l’organisme a mis sur pied deux projets pilotes de paiement sans contact dans un quartier commercial de Bristol.
« De mai à novembre, ces terminaux ont permis d’accumuler environ 750 $ par mois chacun », mentionne Kathryn Lacy, une responsable régionale de l’entreprise qui gère les terminaux en question, soit beaucoup plus que ce qui aurait pu être accompli avec des dons traditionnels.
Un troisième terminal de paiement a depuis été installé dans la zone en bord de mer, et Mme Lacy cherche déjà à multiplier le nombre de terminaux un peu partout au pays, pour quantité d’organismes caritatifs.
À travers l’Europe, les initiatives du genre se multiplient. L’an dernier, l’agence de publicité N=5 a frappé un grand coup avec sa mise à l’essai d’un manteau spécial permettant de donner 2 $ en passant sa carte près du vêtement porté par un sans-abri. L’argent ne pouvait ensuite être dépensé que pour des produits autorisés par le refuge fréquenté par l’individu en question.
À Oxford, la plateforme Greater Change fera ses débuts en avril, et permettra au public de donner aux sans abri à l’aide d’une application mobile. Encore une fois, l’utilisation de l’argent recueilli sera restreinte à certains produits et services devant venir en aide aux démunis.
Les organismes caritatifs ont-ils trouvé la recette gagnante? Ian McIntosh, sociologue à l’Université de Stirling et coauteur d’une étude sur les dons des individus aux sans abri, préfère demeurer prudent.
Ses travaux ont mis au jour de nombreuses raisons pour ne pas donner – de la simple apathie à une véritable hostilité envers l’acte de demander la charité. « Je crois que l’aspect pratique du paiement par carte à puce pourrait entraîner une hausse des dons », dit-il. « Mais je ne crois pas que cela viendra à bout de toutes les raisons invoquées pour ne pas donner. »
Tout en reconnaissant qu’il pourrait y avoir une petite hausse des dons avec des points de paiement statiques, qui permettent d’éviter le malaise ressenti par certaines personnes sollicitées pour des dons, M. McIntosh prédit aussi un accroissement de la concurrence de la part d’autres « bonnes causes ». « Il y a une très forte lassitude et une importante fatigue liée au fait d’être constamment sollicité pour donner », avance-t-il.
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