Professeur de philosophie au cégep, chroniqueur philo à la première chaîne de Radio-Canada et collaborateur pour La Presse, Nouveau Projet et Voir.ca, Jérémie McEwen invite les lecteurs à philosopher sur l’actualité avec l’essai Avant je criais fort paru aux Éditions XYZ en 2018. Évoquant l’idéal d’arriver à voir le monde pour la première fois, cette série de courtes réflexions manque définitivement de Karl Marx (1818-1883).
Les adeptes de ce rappeur du duo La Brigade des Mœurs, fils d’un homme connu, retrouveront ce philosophe qui aborde librement plus d’une trentaine de thèmes à son goût. Pour les autres, il s’agit de se demander si Jérémie McEwen mérite cette tribune médiatique, si les subventions fédérales et provinciales versées sous forme de salaire ou pour éditer ce livre sont bien investies. L’idée n’est pas d’envier le luxe que peut se payer le philosophe avec l’argent «de nos taxes», tels le dernier ordinateur Macintosh, une monture de lunettes à la mode ou tous les accessoires pour faire du jogging.
Contrairement à plusieurs diplômés universitaires qui doivent consacrer le tiers de leur journée à un emploi alimentaire, ce philosophe dispose de tout son temps pour philosopher. Alors, «le» politique est-il au cœur de ses questionnements?
D’emblée, il est important d’oublier l’homme pour considérer l’auteur comme un «statut» pour la simple raison que l’éditeur ne lui aurait pas accordé autant de liberté si son nom n’avait pas circulé, ainsi l’engrenage médiatique est à considérer. Ce statut est le produit de la tradition intellectuelle française veillant à la pérennité de grands noms, de grands textes, de ce qu’il faut connaître pour en faire éventuellement partie. D’une part, il y a l’aura du roi considéré comme la représentation de Dieu sur terre ou celle du sacre de Napoléon, et d’autre part, il y a l’étymologie qui fait surgir des vérités. Jérémie McEwen répète ce modèle intelligible dans son essai.
Cette tradition inclue des penseurs allemands, anglais et d’autres origines, mais certains noms sortent rarement, voire jamais. Bien que Jérémie McEwen ose sanctifier de nouveaux venus comme Marc Labrèche, il maintient le «mensonge» en guise de fondation.
Le chroniqueur philo repêche Platon, Pyrrhon et Héraclite sans se demander si la démocratie était rependue dans tout l’archipel et sans se questionner sur ce qu’est l’orthodoxie. La Grèce antique se limite-t-elle à la ville d’Athènes? Jérémie McEwen traite-t-il les affaires de la cité dans son livre, autrement dit «du» politique? Il est possible d’en douter. À l’été 2017, il animait une causerie à la librairie Le Port de tête sur le Plateau-Mont-Royal avec l’auteure d’un essai sur l’éducation, Joëlle Tremblay. Bref, il était incapable de formuler la question essentielle suivante: en quoi la signature d’une convention collective nuit-elle à la qualité de l’enseignement?
Cette philosophie est superflue, puisqu’elle se centre sur une conception de l’individu qui date de la Révolution française (1789) et de l’indépendance américaine (1776), alors que les enjeux actuels qui nécessitent réflexions sont contextuels, voire structurels, en phase avec la philosophie de Karl Marx.
New York, nombril planétaire
Rappeur, Jérémie McEwen nous sensibilise à l’emploi de la langue. Cependant, son raisonnement omet que la langue française ne soit pas la seule constituante de la francophonie. Après la navigation portugaise et la grammaire espagnole, c’est l’académisme qui a foulé le sol des colonies de la France. L’empire napoléonien (1805-1812) est le point culminant de ce type de structure. La philosophie et la littérature enseignée au niveau collégial sont un rattrapage du peuple canadien-français qui a vécu cette période sous occupation britannique.
Ce nouveau germe de la pensée et des lettres pousse dans le contexte des années 1980 jusqu’à aujourd’hui, que le philosophe dépeint allègrement dans l’essai. Il nous présente la ville de New York comme la nouvelle Athènes. Même s’il y a beaucoup à écrire sur le sujet, dont la cinématographie accessible du cinéaste Spike Lee, le racisme envers les noirs est abordé d’une façon assez superficielle. Il cite Martin Luther King, explique la signification du terme «bling» et des surnoms des rappeurs.
Les lecteurs qui ont lu La Société du spectacle de Guy Debord ou L’écriture de l’histoire de Michel de Certeau, si l’on se limite au domaine de la philosophie, risquent de trouver l’essai vide. C’est comme si le professeur de philosophie couvait l’ellipse du matérialisme historique développée par Karl Marx en se justifiant par la vulgarisation. Son propos n’est pas plus profond collectivement que de porter un t-shirt avec un message politique ou de se faire tatouer la citation d’un activiste.
«Il y a pourtant aussi des raisons de célébrer le mensonge. L’une d’entre elles, pour laquelle le mensonge est merveilleux, c’est qu’il est une composante fondamentale de l’art», lit-on au chapitre 4. Zarathoustra, sors de ce corps!
L’époque où les téléspectateurs du téléroman Les Belles Histoires des pays d’en haut envoyaient de la nourriture et de l’argent à Radio-Canada pour Donalda, n’est-elle pas révolue? Une pièce de théâtre c’est une pièce de théâtre, une sculpture c’est une sculpture, pourquoi ce chevauchement avec la vie active? Pour Lénine, le cinéma était le meilleur moyen d’éduquer les masses, de même que Marcel Duchamp critiquait l’aura bourgeoise de l’art avec son urinoir.
Malheureusement, Jérémie McEwen semble vouloir poser une cerise sur le sundae. Alors qu’il faut changer la coupe, la crème glacée est en train de fondre… et ça déborde.
Apparemment, la philosophie n’est pas exclusive au hip-hop…
https://www.youtube.com/watch?v=r2YGPHGxbU8
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