Réalité et fiction: c’est le titre du plus récent programme double de Tangente, qui était présenté à l’édifice Wilder jusqu’au 25 février 2018. Proposant deux duos qui donnent corps à la matière de manière à la fois physique et intellectuelle, ce programme met également l’accent sur la relation de l’être avec l’espace visible et invisible.
Était d’abord présentée la courte pièce Ghostbox, de Camille Lacelle-Wilsey et Eryn Tempest, dans laquelle les deux interprètes ont très justement décrit ce qu’elles donnent à voir aux spectateurs: « Ce qu’on ne voit pas porte autant d’importance que ce que l’ont voit. »
Cette première partie explore la place physique et immatérielle que jouent les deux artistes tant sur la scène que dans l’imaginaire des spectateurs. Parfois, presque entièrement plongées dans le noir, elles sont quasi invisibles, mais on les entend. Leur présence est indéniable.
Leurs mouvements sont autant de phénomènes d’apparition et de disparition auxquels les artistes se sont d’ailleurs penchées de manière quasi analytique et qui prend l’aspect d’une immense chambre noire dans Ghostbox. Et comme dans toute réflexion sur le vu et le non vu, la lumière joue un rôle prépondérant dans la chorégraphie: la noirceur, les projections vidéos, les projecteurs lumineux rouges qui éclairent presque violemment les danseuses.
Des gestes et des touchers parfois presque sensuels en passant par les tremblements incontrôlables, les interprètes incarnent deux vecteurs qui nous propulsent dans un monde imaginaire. De l’autre côté de cette chambre noire, on accède de manière presque photographique à une fluctuation des émotions, avec des corps qui se rejettent, se repoussent, se retiennent, ainsi que des vacillements, comme de fines ondes immatérielles. Et la finale coup-de-poing, où l’une des interprètes pose tour à tour la main sur la bouche et sur les yeux de sa consœur. L’invisible, l’indicible.
Si cette première partie était accrocheuse dans l’ensemble, la gestuelle demeure plutôt banale par rapport à ce thème, qui gagnerait à être approfondi.
Révolution et contre-révolution
Contrairement à la première pièce qui apparaît comme une ode à l’invisible, la seconde nous donne tout à voir, sans ambages. Geste à la fois politique et artistique, chorégraphier semble pour Hanna Sybille Müller le moyen de véhiculer un message tant par le corps que par la parole.
Revolutions, une pièce d’une trentaine de minutes dans laquelle elle est également interprète auprès de Kelly Keenan qui la seconde, a, tout comme son titre, plusieurs connotations possibles. Tous les aspects entourant la « révolution » y sont abordés, soit dansés, mimés ou clamés. En exécutant moult mouvements giratoires, Müller évoque plusieurs de ses découvertes sur le sens du mot « révolution ». Tout en tournoyant sur elle-même, elle aborde des thèmes aussi divers que l’individualisme, les révolutions sociales et la fonte des glaces dans l’Arctique (qui, semble-t-il, fondent de en tournant dans le sens des aiguilles d’une montre!).
Dans cette deuxième partie, le public est intimement lié aux artistes. Invités à s’asseoir en cercle autour de la scène, quelques spectateurs reçoivent également des notes manuscrites les enjoignant à se déplacer durant la prestation. Par ailleurs, les interprètes, et surtout Müller, dévisagent les spectateurs à de multiples reprises. Si l’aspect expérimental de la chose s’avère assez captivant et ludique, certains spectateurs ne paraissaient pas suffisamment à l’aise pour se prêter au jeu.
Au-delà de ces roulades et mouvements rotatifs qui s’apparentent par moment à une forme d’art martial, la pièce Revolution explore beaucoup les liens de cause à effet dans un monde où tout est interrelié. Ponctuée de quelques pointes d’humour, et parfois de quelques malaises, la chorégraphie amène le public à un tout autre niveau. Certains se sentiront interpellés, d’autres non.
En complément:
Un commentaire
Pingback: Sang bleu, une incarnation de la dégénérescence sur les planches de la Chapelle