La mémoire est une réécriture. Les neurosciences nous l’apprennent: chaque fois qu’on ravive un souvenir, on le modifie. Et de l’histoire d’un homme qui devient son roman, où la mémoire poétisante fait du simple pain grillé une madeleine légendaire, les fabulations de Sylvie Moreau et de son équipe nous transportent dans une riche initiation à Proust, à l’homme et à son œuvre.
Jeanne (Isabelle Brouillette) nous accueille dans le petit musée de Proust, en nous invitant à éteindre nos appareils anachroniques. Elle nous accompagnera à l’intérieur de la vie, de la tête de Marcel Proust.
« Proust. Toujours faire croire qu’on l’a lu. »
Jeanne
Après quelques co-mises en scène, depuis son arrivée à la codirection artistique de la compagnie montréalaise, Syvlie Moreau signait cette première maitrise d’œuvre à tête unique l’an passé. C’est une chance de la voir de retour à l’Espace libre pour quelques semaines, pour ceux qui l’auraient ratée, en 2017! C’est un travail fascinant, drôle et… éducatif!
Traiter d’une œuvre littéraire (et non la moindre) en mettant le corps de l’avant ne semble pas un mince défi. Le titre donné par la créatrice nous avertit clairement: « Dans la tête de Proust (pastiche, collage et fabulations) » ne se veut pas une mise en scène de la «Recherche du temps perdu », mais une exploration libre de ce que la metteuse en scène veut nous en transmettre.
La pièce est une belle introduction au mime dramatique. Un objet hybride où on retrouve la signature d’Étienne Decroux dans des moments plus chorégraphiques, dans le corps agile de Bryan Morneau, avec le grand talent de Contamine… et surtout avec le baron clownesque et touchant de Jean Asselin. Les habitués du vocabulaire physique d’Omnibus savent le plaisir de voir jouer le cofondateur de la compagnie, à qui le travail des années donne tant de précision dans l’exécution des tableaux.
De la sensualité à l’affrontement, la performance des comédiennes Nathalie Claude et Isabelle Brouillette n’est pas en reste. Les personnages féminins de Proust sont servis, illuminés et tordus magnifiquement par elles.
On n’est pas dans le détail descriptif de centaines de pages. Une phrase ou deux nous font rencontrer les personnages colorés dont s’emparent les corps avec force et démonstration. Les personnages activement réalistes que sont Proust et Céleste, côtoient ces agréables caricatures sans pâlir de justesse. Pascale Contamine dégage ici la délicatesse et l’intelligence que la sélection des textes constituants le collage veut nous faire rencontrer en l’illustre auteur. On passe des mots aux corps sans se lasser d’un vocabulaire ou de l’autre, dans la complémentarité qu’ils offrent.
En attendant la lecture de « La recherche du temps perdu », à la fin de l’heure et demie de spectacle, vous serez armés pour faire croire que vous l’avez lu, comme le conseillait d’abord notre hôtesse.
Dans la tête de Proust (pastiche, collage et fabulations)
À l’Espace libre
Du 21 février au 17 mars 2018
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