Après avoir gommé son public avec le film noir à la sauce psychédélique Inherent Vice (2014), le cinéaste Paul Thomas Anderson emballe l’actrice Vicky Krieps de dentelle avec Phantom Thread (Le fil caché, 2017). Le slang du L.A. des années hippies laisse la place à l’anglais britannique policé des années 1950.
Un homme bien établi d’un certain âge va passer la fin de semaine à son chalet dans le nord et tombe en amour avec une jeune et belle serveuse de restaurant en région, serait une façon de résumer le film. Le célèbre couturier Reynold Woodcock aperçoit les mensurations idéales sur une campagnarde naïve qui accepte de devenir son modèle à Londres, serait un second résumé. Un homme ténébreux, cultivé et imposant propose à une jeune femme de lui faire oublier tout le poids de ses complexes contre un engagement entier de sa personne, serait la troisième option.
Le film repose sur un pilier, l’acteur Daniel Day-Lewis qui transporte toute la gravité du prospecteur pétrolier qu’il jouait dans There Will Be Blood (2007) dans cette maison de couture londonienne qui habille la famille royale, les héritières et les mondaines. Bien que l’introduction nous campe dans notre siège de cinéma, le couturier va se séparer de sa femme qu’il ne désire plus, une place vacante que la fauve qu’il est devra remplir en trouvant un nouvel oisillon, Paul Thomas Anderson n’en reste pas là. L’oisillon c’est l’actrice Vicky Krieps dénommée Alma, mais c’est aussi le spectateur qui entre progressivement dans le mode de vie du couturier, puis dans sa psychologie.
L’enfouissement dans ce monde de poupée décèle quasiment une gradation au millimètre près de ce qu’implique ce type d’entreprise, c’est-à-dire que le cinéaste met en scène une critique sociale. Les robes du couturier sont dispendieuses, son art est dispendieux point, mais les femmes fortunées en mesure de s’en faire fabriquer une ne sont pas toutes dignes de porter sa signature. Ce trait éthique du personnage est particulièrement intéressant puisque malgré sa dépendance financière au milieu mondain, il demeure fidèle à ses convictions artistiques en marge du système monétaire qui ne fait pas toujours dans la grâce. Idem pour la monarchie.
Ce dilemme de l’artiste intègre qui doit plaire pour beurrer sa croûte présenté dans ce film de fiction patauge dans les mêmes eaux que le documentaire A Modern Man (2017) d’Eva Mulvad projeté aux RIDM. Par contre, la précision incisive du couturier rappelle le tailleur prestigieux du film Cannibal (2014) du cinéaste espagnol Manuel Martín Cuenca s’adressant à notre regard plutôt qu’à notre psychologie, contrairement au fameux personnage surdoué d’Hannibal Lecter. Avec Phantom Thread (2017), le cinéaste redonne sa psychologie au tailleur et laisse à la société la philosophie de Thomas Hobbes: l’homme est un loup pour l’homme.
À partir de Punch-drunk love (2002), Paul Thomas Anderson semble définir un type de personnage masculin de film en film et ce dernier long-métrage en est le point culminant. Avec évidence, il ne déroge pas en son style de sorte qu’on retrouve des éléments de ses autres films dans celui-ci. Par contre, il acquiert de la maturité. Dans une scène, le couturier critique la mode «chic» en vogue qui lui vole ses clientes. Une plainte qui rappelle l’enjeu du film Boogie Nights (1997), c’est-à-dire l’apparition de la vidéo qui met fin au cinéma érotique des années 1970. En fait, la plainte du couturier a peu d’importance à comparer à l’émancipation féminine d’Alma.
Dans un nid, il y a souvent un oisillon qui mange et grossit plus que les autres au point d’être incapable de s’envoler. Il devient maître du lieu.
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