Mardi se tenait la première représentation montréalaise de WARDA, au théâtre Prospero. On ressort bercés, habités de cette coproduction entre les compagnies Les 2 Mondes et Rideau de Bruxelles, écrite par Sébastien Harrisson et mise en scène par Michael Delaunoy.
Ce conte moderne est habilement tissé, brillamment écrit, de manière à ce que la structure de la pièce et ses ancrages nous ramènent au tapis persan, élément déclencheur de Warda. Tapis dont le vendeur (Salim Talbi) dit, en le comparant à un jardin, qu’on peut s’y promener, qu’on peut s’y perdre. C’est l’effet de la pièce elle-même, et c’est admirable!
Un homme entre dans un commerce de Londres et n’y achète pas un tapis. C’est le point de départ d’un voyage initiatique de l’ordre de celui d’Ulysse: le retour à la maison. À travers le retour aux sources de Jasmin, interprété par Hubert Lemire, le public est convié à s’enfoncer dans l’histoire comme dans un rêve et à en accepter les distorsions progressives pour accéder au sens-même de la pièce et de la quête de Jasmin.
À ce jeu habile s’ajoute le commentaire du personnage de l’auteure de contes pour enfants, jouée par Mieke Verdin. C’est autour de la justesse de l’interprétation de la comédienne (et dramaturge) belge néerlandophone que se lie celle du texte. Nieke Verdin, auteure réelle et jouée, nous donne accès au commentaire même de Harrison sur son œuvre et sur l’art, qu’on ne peut manquer de voir s’adresser à nous, par elle, dans les bris du quatrième mur qui ponctuent la mise en scène de ce personnage.
La qualité de la création textuelle est aussi intéressante quant au contexte de son écriture, qui dégage les mêmes valeurs que la pièce qui en émerge. WARDA est teintée par les créateurs, acteurs et scénographes. D’abord présentée à Bruxelles en 2016, c’est un objet mûr qui subit sa deuxième création sur la scène montréalaise. La collaboration de Sébastien Harrison et de Michael Delaunoy est heureuse, et les choix directionnels sont mesurés, bien qu’on en ressente que l’effet, mystère et plaisir. Car il y a du rire dans la salle, et tous les personnages se complètent autour de cette intelligence. On apprécie la sobriété de plusieurs choix (après tout, ce sont majoritairement des conversations qui nous sont présentées), où Hubert Lemire évolue avec solidité et sensibilité.
C’est l’une des caractéristiques du langage artistique que de pouvoir abstraire, donc créer un effet similaire à la vision de l’hétérotopie de Foucault par Harrison. Le tapis est aussi un jardin, le non-lieu scénographique se transforme et, de commerce en salon, de chambre en locker, on ne quitte peut-être jamais les chambres d’hôtels que le personnage principal dit habiter. De la même manière, les acteurs sont lieux de passage de plusieurs personnages. Victoria Diamond en est le meilleur exemple. Sa séduisante et nonchalante Lily cohabite avec Michel Foucault dans un même corps, à notre grand plaisir, comme la flamboyante Violette Chauveau se dédouble pour brouiller de nouveau les limites entre théâtre et rêve, entre réel et fictif.
Pourquoi aller voir la pièce WARDA? Pour voir une création internationale magnifique qui traite du décloisonnement nécessaire des territoires mentaux et sociaux. Pour se laisser bercer par une histoire lyrique qui s’élève devant nous et dont pourtant on ne peut résoudre l’énigme, si ce n’est en acceptant les règles internes telles qu’établies par l’auteur et son auteure. Allez voir Warda pour le plaisir de se perdre et de n’avoir pas bougé.
Au Prospero jusqu’au 3 Février
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