Les mélomanes montréalais peuvent se targuer d’avoir assisté à l’un des plus brillants exploits de leur orchestre symphonique, qui livra une performance d’une rare élégance mardi soir.
Le programme, mettant à l’honneur le grand compositeur russe Sergeï Rachmaninov pour la totalité du concert, permit de voir à l’œuvre Yevgeny Sudbin, l’un des plus éminents pianistes de sa génération, et artiste en résidence de l’OSM en ce début d’année. C’était aussi l’occasion d’apercevoir le pianiste montréalais Philip Chiu dont l’interprétation rayonnante a été fort applaudie. N’oublions pas non plus la présence charismatique du chef d’orchestre Conrad Van Alphen qui insuffla une impressionnante bouffée d’oxygène à ce véritable marathon symphonique dédié aux plus grandes chefs d’œuvre du répertoire russe.
Il était très intéressant d’entendre une œuvre de jeunesse du mythique compositeur, le trio élégiaque No 1 en sol mineur pour violon, violoncelle et piano. Cette sublime musique de chambre évoquait un lourd manteau de neige tombé sur la Russie, soit un thème lancinant et triste qui propage son écho au périmètre de ce trio d’instruments. Ce petit morceau à la forme d’une sonate d’à peine une quinzaine de minutes constitua une véritable gemme profondément enfouie dans les tréfonds historiques de la Russie. Le pianiste Philip Chiu s’illustra particulièrement par son aisance sur scène et la restitution chromatique et décontractée de son interprétation. Pas étonnant que le journal La Presse le qualifiait de « pianiste peintre qui transforme chaque idée musicale en joli tableau de couleurs ». C’est donc dire que dès l’ouverture du concert, la qualité des interprètes, dont le toujours très apprécié premier violon de l’OSM, Andrew Wan, mettait la table pour quelque chose de très gros.
« Magique »
Disons-le d’emblée, l’interprétation de l’éternel concerto No 2 de Rachmaninov avait quelque chose de magique. Non que l’interprétation du pianiste en résidence de l’OMSM, Yevgeny Sudbin – l’enfant prodige dont on vante les grands exploits pianistiques, notamment pour ses interprétations de Rachmaninov – était parfaite, nous n’irions pas jusque-là. En effet, celui-ci aurait plutôt tendance à s’empêtrer occasionnellement dans un jeu trop stylistique entre les nombreux moments époustouflants qui ponctuèrent le concerto. Il faut dire que la touche du jeune pianiste russe, reconnu internationalement par ses pairs comme l’un des meilleurs pianistes du 21e siècle, diffère considérablement de ses ainés du même acabit. Pensons par exemple à Denis Matsuev qui interpréta ce même concerto pour l’OSM en 2016, et dont la prestance sur scène tient du spectacle et s’accommode parfaitement de l’état d’esprit suprématiste du compositeur. Avec Sudbin, frêle et sensible, la maîtrise technique se retrouve davantage dans la rigueur des parties solo alors que les mesures moins prestigieuses d’accompagnement de l’orchestre deviennent parfois quelque peu brouillonnes.
Ce qui frappait, aussi, c’était les prodigieuses sonorités cristallines que le chef invité Conrad Van Alphen, œuvrant notamment aux Pays-Bas, réussissait à extirper de son orchestre. Le deuxième thème, romantique, relevait du pur bonheur, alors que la section des clarinettes et des flûtes, parfaitement limpides, résonnait dans la plus totale perfection. Le pianiste lui, apparaissait quelque peu distant de toute cette pureté, renouant toutefois avec la virtuosité dans la dernière partie du concerto.
En ce qui concerne la symphonie No 2 en mi mineur Op.27, l’œuvre est colossale. Chacun des très longs mouvements illustre avec force l’épopée de la gloire soviétique. Tantôt, les cuivres sont poussés jusqu’à leurs derniers retranchements, s’approchant dangereusement de la distorsion, alors que d’autres tonalités singulières comme le sol dièse mineur suggèrent une scène cinématographique devant la grandeur hégémonique des graves. Pourtant, malgré la très longue durée de ce concert, le sympathique chef Van Alphen prit la précaution de toujours permettre à l’orchestre d’exprimer sa personnalité et sa créativité, conférant à la sonorité de ces œuvres une sorte d’intemporalité fluide et coulante de virtuosité.
Les chanceux qui voudraient assister à ce magnifique moment pourront entendre à nouveau Sudbin en récital le 11 janvier pour un concert sous l’égide de Tchaïkovski et le samedi 13 janvier pour le concerto No. 2 Rachmaninov, toujours sous la direction de Conrad Van Alphen. Il est fort à parier que le triomphe sera de nouveau au rendez-vous!
Pièces jouées:
Rachmaninov, Trio élégiaque no 1 pour piano, violon et violoncelle
Rachmaninov, Concerto pour piano no 2 en do mineur, op. 18
Rachmaninov, Symphonie no 2 en mi mineur, op. 27
En complément: