Abordant les questions métaphysiques, c’est en Suède que le grand cinéaste russe Andreï Tarkovski (1936-1986) a tourné son dernier film The Sacrifice (1986) projeté au Cinéma du Parc. La théorie sur l’art de l’homme de lettres allemand Goethe (1749-1832) est un bon point de départ pour analyser cette œuvre testamentaire.
«L’écrivain Alexandre s’est retiré avec sa famille sur une île suédoise. Ce jour-là, on fête son anniversaire de naissance. La célébration est interrompue par l’annonce d’une catastrophe nucléaire. Alexandre se retire et prie Dieu d’épargner sa famille, offrant en échange un sacrifice», lit-on sur le site du Cinéma du Parc en guise de synopsis. À noter, la direction photo est assurée par Sven Nykvist (1922-2006) qui a signé la photographie de la plupart des films du célèbre Ingmar Bergman (1918-2007). Tous deux sont non seulement originaires de ce pays nordique, mais ils sont les artisans de la création du cinéma suédois.
Effectivement, le réalisme de l’œuvre peut donner l’impression que ce film laisse libre cours à l’imagination des spectateurs, l’esthétique est saisissante, mais ce n’est pas le cas en réalité. La poésie d’Andreï Tarkovski plante une structure qui s’impose au public, c’est pourquoi il est préférable d’opter pour une grille d’analyse afin de la cerner.
«Si la simple imitation repose sur une existence paisible et une présence aimable, si la manière se saisit d’un cœur léger et avec le talent d’une apparence, le style quant à lui repose sur les fondements les plus profonds de la connaissance, sur l’essence des objets pour autant qu’il nous soit permis de la connaître sous forme de figures visibles et tangibles», écrit Goethe en 1789.
L’arbre
Le film s’ouvre sur un moment relativement banal pour le spectateur, mais important pour ce grand-père qui montre à son petit-fils comment planter un arbre sur le bord de l’eau. Le héros philosophe pendant que l’enfant dépose des roches pour solidifier l’ancrage. La caméra suit leurs pas vers l’intérieur des terres avec un mouvement de travelling, et un autre personnage apparaît.
Docteur Watson ou Sancho Panza, le facteur Otto sort l’écrivain de ses réflexions par la lecture d’une lettre, son arrivée et son départ perpendiculaire, ses confessions décousues et ses mouvements circulaires avec sa bicyclette. Les parents de l’enfant apparaissent. Puis, il y a une rupture dans la linéarité. Le héros a une vision apocalyptique.
Ainsi, la simple imitation et la manière de tracer une continuité sont manifestes, le style se traduit par cet arbre qui représente les ramifications de la généalogie.
Le foyer
Le récit du film n’est pas patrilinéaire, puisque l’apparition de la belle-fille du héros ou la mère de l’enfant, une actrice pour qui le « théâtre c’est tout », introduit une autre dimension. Ce personnage émotif s’illustre à l’intérieur de la maison. Les mouvements croisés transforment le récit de façon matrilinéaire. Ici, la manière de diriger les acteurs et de les filmer, très classique, prime sur la simple imitation et le style afin d’installer les conditions d’une séquence subversive.
Dans l’obscurité, le devant de la maison de la servante, qu’Otto qualifie de sorcière, occupe tout le cadre et est balayé par les troupeaux de moutons. Derrière ce plan frontal, le héros raconte un souvenir à cette femme nommée Maria qu’il va confondre avec sa femme, sa mère et la Vierge. Ainsi, le cinéaste trace un passage, une transe ou une métamorphose, via le cœur léger et le talent d’une apparence.
L’incendie
L’arbre planté sur la rive est un avatar du style du cinéaste qui lègue ce dernier film à son fils. En tant que spectateur, ce qui nous importe c’est l’œuvre en soi qui nous habite pendant 149 minutes.
L’architecture représente davantage le style du cinéaste dans le film, c’est-à-dire la structure qui ne laisse rien au hasard. L’enfant est nommé « petit homme », le facteur a été marqué par un « nain », étrangement, et ce duo a fabriqué une maquette de la maison. À la fin, le héros prend soin d’éloigner la voiture de son fils avant de brûler sa demeure. Sa belle-fille fait une scène telle une actrice de théâtre classique.
La profondeur symbolique de la troisième partie est liée aux cadeaux d’anniversaire reçus par le héros : un livre d’icônes religieuses et une carte de l’Europe encadrée.
Pour Goethe, l’artiste doit imiter la nature et Andreï Tarkovski y arrive avec justesse dans son dernier film. Au Québec, ce qui nous laisse indifférents ou qui nous saute aux yeux dans l’œuvre ultime de ce cinéaste russe c’est son orthodoxie.
Agoraphobe ou claustrophobe, s’abstenir.
Au Cinéma du Parc.