Avec sa deuxième proposition à Montréal pour cette année, le Cirque du Soleil prouve plus que jamais qu’il a envie de se réinventer, tout en ne perdant pas ce qui fait la magie et la réussite de son univers. Loin d’être réservée dans ses ambitions, l’entreprise originaire de chez-nous aborde pour la première fois le monde de glace et met ses patins pour nous en mettre plein la vue.
Peut-être est-ce parce que c’est la fin de l’année et que la période des fêtes nous rend plus doux, mais si Crystal n’apparaît pas instantanément comme un nouveau classique ni comme une œuvre véritablement essentielle, on doit admettre qu’elle nous enrobe certainement le cœur et nous donne indubitablement le goût de le recommander à tous tellement il apparaît comme la sortie du temps des fêtes idéale à offrir ou à s’offrir à soi.
Carrément somptueux dans un enrobage qui fait rêver par le biais de nombreux tableaux à la beauté renversante, ce nouveau spectacle de tournée est moins radical dans ce qu’il présente que le Volta d’il y a quelques mois, mais il ne manque pas de redonner un nouveau souffle à des numéros qu’on croyait connaître par cœur. On pense à la jonglerie, qui a bien quelques changements inédits, aux numéros de sangles, de pas de deux ou de trapèzes, qui n’ont décidément pas la même ambiance, ni le même sens du danger, avec des patins à glace en jeu, ou surtout à l’équilibre sur chaises qui jouit d’un revirement épatant dans le déplacement de la tour à risques.
Mouvement
Ce qui frappe d’abord, au-delà de l’impression de haut risque face à l’utilisation intensive des patins à glace, c’est ce mouvement constant qui donne carrément le vertige. Abordant un nouveau rythme, les personnages se déplacent sans cesse, et cela permet une dynamique certainement différente de ce à quoi le cirque sous chapiteau nous a habitués. La scénographie prend également ses aises avec la largeur de la patinoire, en tirant profit de l’espace pour donner un sentiment indéniable de liberté, et poursuivant du même coup cette époustouflante exploration des espaces et des limites qu’avait lancée Volta.
Mieux encore, on continue de multiplier les actions et de pousser le spectateur à ne plus savoir où donner de la tête, alors que tout ce qu’il y a sous nos yeux tente d’attirer notre attention. C’est d’autant plus frappant que la majorité des numéros donne l’impression de se dérouler au sein d’un grand groupe, le tout étant bien rendu par de très jolies chorégraphies synchronisées, mais aussi en accentuant l’importance des très nombreux accessoires.
Certes, l’histoire apparaît comme un boulet, et on insiste beaucoup trop sur les grandes lignes de celles-ci. On emploie d’ailleurs une voix narrative insistante qui semble clamer jusqu’à plus soif des phrases préfabriquées donnant l’impression de provenir de biscuits chinois ou d’affiches de motivation.
Avec une approche très théâtrale, on nous refait le coup des laissés-pour-compte qui tentent de se frayer un chemin dans la vie et de trouver leur place à l’aide de leurs forces qui diffèrent parfois de ce que l’on imaginait au départ.
Le spectacle durant moins longtemps qu’à l’habitude, on aurait simplement pu laisser les tableaux et les numéros se succéder sans nécessairement se forcer à les lier entre eux au sein d’une épopée si dense et complexe qu’on ne la comprend pas entièrement, et qui ne nous intéresse pas tant que ça, non plus.
L’affaire est d’autant plus étrange que l’ordre de présentation des numéros ne semble pas toujours logique, la structure venant bien souvent déséquilibrer les forces et les faiblesses des numéros.
Il semble carrément incompréhensible, par exemple, que l’époustouflant numéro de « hockey » eût été placé juste avant l’entracte, et que l’on décide de clore le spectacle avec les numéros les plus émouvants.
En avant la musique!
Heureusement, la musique occupe davantage d’importance que la trame narrative. Non seulement les compositions de Maxim Lepage sont fortement féériques, mais les musiciens présents sur place savent s’imposer avec panache.
Histoire de refléter le penchant musical plus prononcé des dernières années, on inclut également des reprises de chansons pop qui valent le détour. Ariane Moffatt détonne énormément avec Chandelier de Sia, alors qu’il est impossible de ne pas vouloir se déhancher sur la reprise de Sinnerman de Nina Simone par Betty Bonifassi, ou de s’émouvoir avec Halo de Beyoncé reprise par Gabrielle Shonk. Cet amalgame de pièces préenregistrées et d’arrangements remaniés et interprétés sur place peut sembler risqué, mais fonctionne admirablement.
Enfin, impossible de passer sous silence l’ingéniosité technique dont fait preuve le spectacle, avec un usage renversant des projections de quoi certainement rendre fier Robert Lepage. Avec des tactiques et des techniques inédites, comme les interactions multimédias intelligentes en lien direct avec l’action des acrobates, on a ici décidément plus d’un tour dans son sac pour jouer avec les éclairages et pour simuler des décors, donnant lieu à des moments d’une grave inventivité.
Crystal est donc d’abord et avant tout splendide, oui, mais aussi une grande partie de plaisir qui nous fait sourire en ravivant notre cœur d’enfant, avant de l’emplir de tendresse. Avec un spectacle aussi rassembleur et efficace, à défaut d’être aussi exceptionnel qu’il semble laisser croire (ce n’est que le Cirque du Soleil sur glace après tout, ce, même s’il fallait certainement l’oser!) nul doute que l’entreprise tient sans contredit un autre très beau succès entre les mains.
8/10
Le Cirque du Soleil présente Crystal au Centre Bell de Montréal jusqu’au 31 décembre prochain avant de poursuivre sa tournée par la suite. Tous les détails sur le spectacle et les billets à cette adresse.