Avant de raconter des histoires, le cinéma est avant tout un art qui s’adresse à l’œil. Avec le documentaire Labrecque, une caméra pour la mémoire (2017) qui sortira en salles le 12 janvier, le directeur de la photographie et réalisateur québécois Michel La Veaux (Le Démantèlement (2013), Le Vendeur (2011), Ce qu’il faut pour vivre (2008)) rend hommage au cameraman québécois qui a aiguisé l’acuité visuelle de notre cinéma.
60 cycles, Jean-Claude Labrecque, offert par l’Office national du film du Canada
Avant que le commun des mortels n’ait qu’à peser sur un bouton sur son téléphone intelligent pour faire une vidéo, des peintres aux cinéastes en passant par la «camera oscura» de la photographie, un long défrichage d’essais et erreurs a été effectué. Quand les frères Lumière ont été en mesure de capter l’image en mouvement, ils ont fait le tour du monde pour filmer et projeter ce qu’ils ont filmé faisant escale à Montréal le 27 juin 1896. «Si j’avais voulu devenir un grand cameraman, je serais allé étudier en France ou aux États-Unis», affirme Jean-Claude Labrecque rappelant que des pays influents ont tenté et tentent encore de dicter au reste du monde comment on doit montrer, voire représenter.
Il est toujours intéressant d’assister à ces débats sur la représentation des minorités au cinéma. Comme si les cinéastes d’ici, en plus d’en arracher à trouver du financement, devaient répondre à des quotas basés sur le multiculturalisme canadien, alors que peu de gens ne critiquent le cinéma américain qui nous écrase en diffusant racisme et violence gratuite.
Allant de pair avec les autres cinémas nationaux, le cinéma québécois est un cinéma qui parle de «nous autres mêmes» qui s’est forgé pendant les trente glorieuses. Ce moment d’émancipation du tiers-monde, une période où l’écart entre riches et pauvres était à son plus bas. Que l’on visionne les premiers films de Pierre Falardeau, de Denys Arcand ou de Gilles Carle, on retrouve la même volonté d’échapper à l’hégémonie américano-soviétique afin de se réapproprier son image.
Jean-Claude Labrecque joue le rôle du caméraman avec un grand «C» dans cette effervescence culturelle, au point de réaliser ses propres films. Le documentaire Labrecque, une caméra pour la mémoire (2017) est en fait une longue entrevue avec celui qui se qualifie de « taiseux », qui restait muet pendant les tournages du Chat dans le sac de Gilles Groulx (1964) et de La vie heureuse de Léopold Z (1965) de Gilles Carle jusqu’à ce qu’on lui demande de filmer. Silencieux, mais observateur.
À l’assaut
Ayant reçu le mandat de capter La visite du général de Gaulle au Québec (1967) avec une équipe de caméramans, le projet prend des tournures de guérilla optique. À l’aide de contacts, ils font arrêter le navire Colbert pour y embarquer et filmer le salut au sifflet, Labrecque filme à partir de la voiture transportant le ministre et le général et un autre caméraman est perché sur un hélicoptère qui survole le cortège lors du trajet Québec-Montréal.
Labrecque raconte aussi qu’il s’était « enfargé » dans un téléobjectif de grande taille, une lentille que l’on installe au bout de la caméra. En fait, il s’agissait du type de lentille que la NASA utilisait pour filmer les départs de fusées. Ce technicien astucieux et inventif a utilisé ce grand-angle pour filmer le 11e tour cycliste du Saint-Laurent dans 60 Cycles (1965). Cette expérimentation l’a conduit vers le cinéma expérimental, puis vers la captation du Décathlon des Jeux olympiques de Montréal, suivant un athlète américain pressenti pour remporter l’épreuve.
Dans un autre registre, Labrecque a capté les deux nuits de la poésie en 1970 et en 1980. Il fait la rencontre de la jeune poète Marie Uguay atteinte d’une maladie grave avec laquelle il fait un film émouvant et intimiste. Pour atteindre cette proximité lors du tournage de À hauteur d’homme (2003), le caméraman explique qu’il a dû lutter contre l’équipe du premier ministre du Québec, Bernard Landry pour se tailler une place.
Si le cameraman Jean-Claude Labrecque a filmé des images pour la postérité, malheureusement, le réalisateur du documentaire n’a pas son talent. Michel La Veaux a entrecoupé une entrevue intéressante avec des intermèdes mettant en scène le caméraman roulant dans une décapotable ou manipulant de grosses caméras avec une musique pour magnifier le moment. Ces scènes qui grugent de la pellicule ne font qu’alourdir une forme pas audacieuse.
Insérer dans un gros cadre doré avec fioritures, noir gras pardon, l’œuvre d’un artiste de la transparence n’est pas la meilleure trouvaille. Dommage.
En complément:
https://www.pieuvre.ca/2017/12/11/un-migrant-debarque-dans-la-finlande-daki-kaurismaki/