Tandis que des journalistes débattent des meilleures façons de combattre les fausses nouvelles, des psychologues et des neurologues ont déjà plusieurs longueurs d’avance: ces experts prennent désormais pour acquis que 90% des humains entretiennent, à un degré ou l’autre, des « croyances délirantes » (delusional beliefs). Mais toute la question est de savoir à quel degré… et si tout le monde est capable de combattre ses propres croyances.
« L’esprit humain est le terreau pour les croyances bizarres, de sorte que nous ne devrions pas être surpris que les fausses nouvelles aient une si grande influence », résume un article récent du New Scientist.
Dans le jargon des psychologues, il y a donc les « croyances délirantes », mais il y a aussi les « troubles délirants ». Où passe la ligne entre une simple croyance et le moment où cela devient un problème de santé mentale? Ces experts en débattent depuis des années, et semblent encore loin d’un consensus. S’ils estiment que seulement 0,2% des gens sont, à un moment ou à un autre, traités pour un de ces troubles, ils ont en main depuis au moins 2011 des études qui arrivent à des chiffres plus impressionnants: près de 40% des gens entretiendraient une croyance qu’on ne peut que qualifier de bizarre, comme « je suis mort » ou « des gens que je connais se déguisent pour me manipuler ».
Chose certaine, ces constats obligent à rejeter la vieille idée voulant qu’une personne qui saute aux conclusions sans réfléchir soit « moins intelligente ». Selon la psychologue clinique Philippa Garety, interrogée dans le New Scientist, sauter aux conclusions reflète tout simplement « le type de raisonnement que préfère un individu ». Et comme le raisonnement qu’un individu préfère est souvent celui qui confirme ses croyances ou ses préjugés, il faudrait en théorie détricoter son système de croyances pour comprendre pourquoi il a choisi l’option A plutôt que l’option B.
Dans le langage de la psychologie cognitive, « le type de raisonnement qu’un individu préfère » réfère également à un double concept, le « cerveau rapide » et le « cerveau lent » (ou « système 1 » et « système 2 »): le premier étant celui qui saute aux conclusions et le second, celui qui soupèse le pour et le contre, hésite ou nuance. Aucun individu ne penche à 100% d’un côté, mais certains penchent beaucoup plus d’un côté que d’autres.
Illustration classique de ce phénomène. Vous êtes devant deux récipients opaques. Le premier contient 85% de perles noires et 15% de perles rouges. Dans l’autre, c’est le contraire. Vous pigez une perle noire: de quel récipient provient-elle? La logique dicte d’attendre d’en avoir pigé quelques-unes avant de sauter aux conclusions. Pourtant, 10% des gens répondront à la question après avoir pigé une seule perle. Plus intéressant encore, selon une étude menée en 2011, 70% des gens traités pour un « trouble délirant » répondraient après seulement une ou deux perles.
Une expérience reprise l’an dernier par une équipe de trois pays (britannique, canadienne, australienne) allait dans le même sens : les gens qui penchent le moins vers une pensée analytique ou vers un « cerveau lent », seraient les plus susceptibles de décider après seulement une ou deux perles. « Ce n’est pas que les gens qui ont tendance à sauter aux conclusions ne comprennent pas ou ne savent pas utiliser des preuves », explique la chercheure principale, Philippa Garety. C’est juste qu’ils sur-utilisent [la pensée rapide] aux dépens de [la pensée lente]. »
Ces gens plus susceptibles de sauter aux conclusions seraient-ils ceux qui auraient besoin d’aide en priorité, dans le contexte des fausses nouvelles? Ce n’était pas aussi simple, à en croire une étude britannique publiée en 2011, qui pointait plutôt comme facteur déterminant d’une croyance une « anomalie » survenue dans la vie d’une personne, renforcée par la première explication que cette personne était allée chercher.
N’empêche que les interrogations sur les fausses nouvelles et leur impact stimulent la recherche. La tendance de nos cerveaux à sur-utiliser la « pensée rapide » est plus d’actualité que jamais, en cette époque de constant bombardement d’informations entre lesquelles il est difficile de distinguer le vrai du faux. Autrement dit, mieux comprendre ce qui se passe dans le cerveau d’une personne qui relaie des fausses nouvelles pourrait aider tous les Détecteurs de rumeurs de ce monde qui, sur le terrain, combattent la désinformation.
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