Bienvenue en enfer. Voilà en effet où nous convient les compagnies Trois Tristes Tigres et Créations Estelle Clareton, dans le cadre de ce spectacle présenté au Théâtre de Quat’Sous. Au menu: une heure de théâtre dansé qui n’a pas besoin de dialogues pour raconter son histoire, dans Sous la nuit solitaire.
Sur scène, un décor nu mais torturé. De grands panneaux décharnés évoquent des falaises dangereuses, un endroit où la Nature a été vaincue pour faire place à la désolation. Sur scène, toujours, les comédiens, pieds nus dans une atmosphère surchauffée. Pas de dialogues, pas de paroles. Simplement une musique d’accompagnement. Une musique parfois sourde, parfois à la limite de l’assourdissant, parfois entêtante, parfois effrayante.
Sur le mur du fond, des extraits de la Divine comédie de Dante, de ce voyage dans les Enfers, cette quête d’humanité dans un endroit où l’humanité s’effrite, se délite, disparaît peu à peu.
Ce sont d’ailleurs ces extraits qui permettent d’accoler l’étiquette de théâtre dansé. Car autrement, le spectateur aurait probablement de la difficulté à établir une sorte de progression scénaristique dans l’oeuvre. Pas que cela soit nécessaire, bien entendu, mais pour ceux qui ont moins l’habitude des spectacles de danse, justement, une ligne directrice est toujours la bienvenue.
L’enfer, c’est la souffrance, certes, mais cette souffrance se décline sous plusieurs aspects. La violence, d’abord, suivie de la luxure et de la mort, entre autres. Nos personnages, plongés dans ces abîmes existentiels, meurent et reviennent constamment à la vie, puisant chaque fois dans une énergie commune qui leur semble néfaste, mais dont ils sont incapables de se passer.
Sous la nuit solitaire est une expérience réussie. On aurait probablement pu se passer des hurlements poussés à divers moments par certains comédiens – la souffrance et la douleur physique et psychologique vécues par les personnages semblant plus vraies, plus profondes si ceux-ci souffrent en silence -, mais une fois cela mis de côté, on ressort du Quat’Sous avec l’impression d’avoir traversé cet enfer en compagnie des comédiens-danseurs. Pour eux, l’exercice tient de l’épopée épuisante, mais aussi du voyage qui permet par la suite de mieux comprendre l’existence et notre condition humaine. Pour nous, Sous la nuit solitaire est une sorte de communion avec le corps, machine fantastique, certes, mais aussi prison pour la chair et pour l’esprit dont on ne s’évade parfois qu’en abandonnant, à notre tour, toute espérance.
Au Théâtre de Quat’Sous jusqu’au 2 décembre.
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