L’orchestre Mariinsky arrivait tout droit de Saint-Pétersbourg samedi soir dernier à la Maison symphonique, et ce serait un euphémisme que d’affirmer que le public montréalais les attendait de pied ferme. À l’occasion de ce concert hors-série, l’OSM prenait une pause afin de céder les planches à cet orchestre mythique de l’histoire de la musique moderne.
Pour le plus grand plaisir d’une grande partie du public, d’origine russe, c’est tout l’apparat digne des grands concerts européens des années fastes qui était de mise : fourrures à motifs, sacs luxueux et autres ostentations. Le programme, mettant en vedette la vedette pianistique Denis Matsuev, avait tout pour séduire les mélomanes.
Dès le premier mouvement de la véritable épopée symphonique intitulée « Une vie de héros » de Richard Strauss, on découvre pourquoi l’orchestre Mariinsky figure parmi les orchestres les plus mythiques du monde. On comprend aussi pourquoi le chef d’orchestre Valery Gergiev compte parmi les chefs les plus adulés. Le compositeur Rodion Chtchédrine, dont le Concerto No. 2 était confié à Matsuev samedi soir, affirmait par ailleurs que Gergiev figure « parmi l’une des plus grandes personnalités de l’histoire de la musique russe »; il fit du théâtre Mariinsky de Saint-Pétersbourg « le centre de la vie musicale russe ». Son contrôle de l’Orchestre est martial, précis, chirurgical. Dans cette vie de héros de Strauss, l’obsession du contrôle se reflète dans les multiples interruptions inopinées de toutes les sections à l’unisson, pendant que l’arrêt des notes se réverbère subtilement sur les cloisons boisées de la Maison Symphonique. Cette apparente déconstruction mesurée reflétait quant à elle l’exquise maîtrise technique du prestigieux orchestre.
Œuvre de jeunesse de Strauss censée raconter sa propre vie (et rien de moins !), cette symphonie contient l’embryon d’une multiplicité de tonalités qu’on retrouvera dans les œuvres plus matures du mythique compositeur viennois. Pensons à ces échos dans les percussions du mouvement final lequel rappelle Ainsi parlait Zarathoustra dans 2001 l’Odyssée de l’espace, ou les glissements de cordes caractéristiques du Beau Danube bleu. Strauss joue avec nos nerfs, achevant rarement ce qu’il a commencé et couronnant le dernier mouvement d’une sorte de fanfare militaire tonitruante. Très aride, l’œuvre fait rarement place aux grandes envolées romantiques pour lesquelles on associe parfois le compositeur. Dans le mouvement « la compagnie du héros », le premier violon s’embrase remarquablement dans un solo très remarqué, symbolisant la femme de Strauss.
C’est alors que Denis Matsuev fit son entrée. Le public l’accueillit comme une vedette rock. On l’aura aperçu à quelques reprises sur les planches de la Maison symphonique ces dernières années, défendant la culture russe avec fougue et prestance. Gesticulant, piochant de tout son soûl, on aurait pu douter de la capacité du pauvre Steinway de retenir toute cette fureur bruyamment relâchée. Il faut dire que le Concerto No. 2 de Chtchédrine n’est pas la partition la plus digeste. Succédant à Chostakovitch à la direction de l’Union des compositeurs de l’URSS, les œuvres qui lui étaient commandées devaient illustrer la grandeur du parti communisme et défendre l’unité du pays. À travers les différents mouvements plutôt astringents, ressemblants davantage à un long scherzo ininterrompu, le compositeur, derrière son rideau de fer, introduisit certaines libertés scandaleuses pour l’époque. Par exemple, l’insertion d’une finale jazzée plus proche des cabarets d’Harlem que de l’idéologie soviétique de son époque. Toutefois, l’écriture demeure extrêmement crispée: aucune envolée lyrique, aucun romantisme, mais plutôt une structure métallique implacable à l’exception de la comptine plus enfantine et espiègle du scherzo (le vrai celui-là). L’allegro se matérialise enfin comme une sorte de répit salutaire possédant (enfin) une âme! Il faut évidemment replacer l’œuvre dans son contexte politique, le principal commanditaire étant l’État lui-même. Comme à son habitude, Matsuev termina ce concerto en se levant d’un bond, fidèle à sa réputation de rock vedette avant d’enchaîner avec un vigoureux rappel, Humoresque, lui aussi de Chtchédrine.
Quant à L’Oiseau de feu, le niveau exceptionnellement élevé de l’orchestre permit d’en vivre une interprétation réellement inouïe: Stravinski scintillait samedi soir au fil des magnifiques hautbois et des flûtes traversières. Ce compte national russe retrouvait tout son panache dans cette interprétation limpide, lumineuse, particulièrement dans La Berceuse, magnifique et sublime tragédie des cors.
Sans nul doute l’interprétation de samedi soir par Valery Gergiev relevait du triomphe. Elle démontre tout le talent de cet orchestre du Monde, qui par sa maitrise obsessive de la technique constitue un niveau d’élite d’une autre trempe que ce qu’il est possible de voir habituellement à Montréal. Ce passage éphémère de l’orchestre russe se termina sous une salve nourrie d’applaudissements avant de repartir vers les contrées enneigées de l’étoile du nord. Après un accueil aussi triomphal – on aurait entendu une mouche voler dans la salle, les spectateurs s’abreuvant du Graal de toute leur attention – il y a fort à parier que Gergiev et son orchestre seront de retour à Montréal dans un avenir proche.
Orchestre Mariinsky de Saint-Pétersbourg :
R. Strauss, Une vie de héros
Chtchédrine, Concerto No. 2 pour piano
Stravinski, L’Oiseau de feu, Suite de 1919
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2 commentaires
Je partage l’opinion du journaliste quant à la qualité du concert. Par contre, je ne peux passer sous silence l’erreur monumentale qui s’est glissée dans ce texte (erreur d’inattention, espérons-le)… Évidemment, Richard Strauss, compositeur de « Une vie de héros » n’a absolument rien à voir avec Johann Strauss II, compositeur du Beau Danube bleu. Aucun lien de parenté. Et Richard Strauss est bien entendu Allemand, et non Viennois.
Et j’ajouterais que Une vie de héros n’est pas une symphonie, mais un poème symphonique. Rigueur.