L’Orchestre symphonique de Montréal complétait samedi soir une série de trois concerts mettant en lumière la Rhapsodie sur un thème de Paganini de Rachmaninov ainsi que l’enregistrement d’une série d’œuvres du compositeur contemporain John Adams.
Le public montréalais est réputé pour accompagner les aventures de l’OSM dans toutes les sphères de la musique classique. Ce fut également le cas pour ces concerts qui reprenaient des œuvres contemporaines, parfois réputées s’adresser à un public de mélomane averti. Néanmoins, l’accueil chaleureux du public, bien que par moment pantois face à l’œuvre phare de John Adams, fut de notoriété publique dans les médias durant les derniers jours. C’était aussi la fin de la présence soutenue de Kent Nagano depuis près de 3 semaines à la barre des récents concerts de l’orchestre, mais surtout une occasion de voir le pianiste Alexei Volodin à l’œuvre, soit l’un des plus éminents solistes de l’heure.
La rhapsodie de Rachmaninov était dépeinte avec tant de précision qu’on aurait pu charcuter au couteau chaque section de l’orchestre. Étrange pièce que celle composée en 1934 par le célèbre compositeur russe. Les variations se succèdent en dent de scie, tantôt romantiques tantôt déchainées d’un suprématisme indéniable. Il paraissait presque dissonant d’entendre un thème joyeux chez Rachamaninov dans la variation 6. Mais le maître russe n’a pas dit son dernier mot, car l’orchestre en remit de plus belle dans la célèbre variation 18 dont le romantisme transperce l’orchestre. L’interprétation de Volodin est particulièrement saisissante de clarté et de fraicheur. Il se hisse volontiers parmi les grands interprètes de ce monde, aux côtés de Matsuev et de Lang Lang. On espère fortement le retrouver dans un nouveau en récital plus tard cette année.
On aurait pu croire que cette célèbre Rhapsodie aurait été la pièce de résistance de ce concert. Or, il n’en fut rien. Kent Nagano est connu pour sa fascination pour l’œuvre du compositeur américain de la région de San Francisco. Cette filiation se poursuit sur les planches montréalaises puisque ce concert a été enregistré en vue d’un futur album, en plus d’avoir été filmé pour une diffusion web. C’est donc un exemple de l’importance qui est accordée à John Adams dans le cadre de la présente saison. Il faut dire que l’œuvre du compositeur est fort intéressante et trouve ses fondements dans un monde onirique qui lui est propre.
Le concert s’est ouvert sur une pièce très texturée nommée Common Tones in Simple Time, datée de 1979. Embrumée, chromatique, d’une étincelante fraicheur, cette œuvre expérimentale vient extirper les plus subtiles variations des flûtes jusqu’à la plus infime suspension d’une note s’accomplissant dans le silence. Il s’agit aussi d’une œuvre à fleur de peau, atteignant les limites les plus infimes de l’exécution des carillons, des harpes et des percussions, c’est-à-dire une recherche musicale contemporaine et résolument cinématographique. Selon le compositeur, il s’agissait de communiquer les sensations d’un vol plané au-dessus d’un paysage ponctué de subtiles variations de couleur et de lumière. Ce Simple Time fait alors référence au rythme commun des différentes sonorités, lesquelles se reproduisent tel un lancinant leitmotiv. Cet appel à la contemplation est particulièrement flagrant dans les dernières mesures de l’œuvre. Le mélange des graves aux pulsations incessantes des cordes évoque un galion levant les voiles et voguant en silence dans le levant éthéré d’une Irlande embrumée.
En enregistrant cette œuvre très connue du mouvement minimaliste des années 70, l’OSM s’impose comme un chef de file de la musique contemporaine. L’interprétation de samedi était exceptionnelle et c’est avec impatience que nous attendrons le disque qui s’ensuivra.
L’œuvre d’Adam intitulée Harmonielehre tire sa genèse d’un rêve du compositeur dans lequel il aperçut un pétrolier prendre son envol au-dessus de la baie de San Francisco. Ce tableau surréaliste impose encore une fois l’usage soutenu des harpes et de violons qui s’entrechoquent avec les carillons et les cloches. Sous les staccatos incessants des violons, entrecoupé de larges accords expansifs des cuivres, on imaginerait sans peine la finale d’un grandiose film de Malick. Le dernier mouvement aux flûtes scintillantes se termine finalement dans une finale incroyable sous le feu nourri des carillons et des tambours.
John Adams sait susciter une incroyable abstraction émotive. Nagano évolue ici dans une zone de confort certaine, sa direction passionnée et précise contribuant à la gracieuse manipulation des sections de l’orchestre et conférant toute la souplesse de jeu requise pour restituer cette étrange œuvre d’Adams. On imagine aussi la maîtrise nécessaire des instruments afin de maintenir l’orchestre à flot, dans le quasi-silence, sur la même note grave et solennelle. Fait marquant, l’OSM a récemment fait l’acquisition d’une octobasse, sorte de contrebasse géante de plus de 3,87 mètres (!) de hauteur, permettant justement de restituer des tonalités graves jusque dans les fréquences inaudibles à l’oreille humaine. Il s’agit à l’heure actuelle du seul exemplaire fonctionnel depuis son invention par le luthier français Jean-Baptiste Vuillaume en 1849.
Malgré la facture très contemporaine de cette série de concerts, le public fut indéniablement au rendez-vous. Maestro Nagano reçut d’ailleurs une ovation soutenue samedi soir. Il s’adressa au public pour le remercier: « Nous sommes si chanceux de pouvoir compter sur un public si assidu. Nous avons exploré le baroque, le classicisme, et maintenant nous entrons de plain-pied dans le 21e siècle, et vous êtes toujours là! » Chose rare, le chef nous gratifia d’un court rappel signé Adams.
L’OSM continue d’explorer le répertoire russe la semaine prochaine, alors que l’orchestre Mariinsky de Saint-Pétersbourg visitera la Maison Symphonique le 11 novembre prochain et que Chostakovitch sera à l’honneur le 9 novembre.
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