Le mouvement de vérification des faits, ou fact-checking, pourrait-il être l’avenir du journalisme scientifique? C’est le thème que l’Agence Science-Presse a choisi pour le panel qu’elle présente samedi à San Francisco, au congrès de la Fédération mondiale des journalistes scientifiques.
Cette question — qui est ambitieuse, nous en convenons — est le résultat d’une réflexion menée à l’Agence depuis quelques années sur la précarité du journalisme scientifique. Cette réflexion — qui a mené ultimement à la création du Détecteur de rumeurs — englobe deux éléments:
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l’avenir incertain du journalisme scientifique, dans un univers où il y a désormais quatre relationnistes pour chaque journaliste, et où les médias, petits et grands, généralistes comme spécialisés (comme l’Agence) sont plus fragiles que jamais — c’était la raison de notre campagne #100LaScience en 2016;
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et l’avenir de l’information scientifique au sein du mouvement international de vérification des faits, un mouvement qui, jusqu’ici, s’est surtout tourné vers la vérification de l’information politique.
Pour la directrice de l’Agence, Josée Nadia Drouin, l’idée d’organiser ce panel est née il y a plus d’un an, alors que le Détecteur de rumeurs était encore un projet en démarrage et que la Fédération mondiale des journalistes scientifiques lançait un appel à tous pour son congrès de San Francisco. Il était déjà clair à ce moment que l’idée d’un fact-checking des nouvelles et rumeurs autour de l’information scientifique était assez rare — les sites journalistiques de vérification des faits les plus célèbres, de PolitiFact à Snopes, étant orientés vers la politique d’abord, et vers les rumeurs virales des réseaux sociaux ensuite.
Mais un an plus tard, en dépit de l’énorme attention que l’élection de Trump a soudainement consacré aux « fausses nouvelles », et malgré l’apparition de multiples initiatives internationales pour aider le public à distinguer le vrai du faux, l’Agence est toujours un oiseau rare: au panel de samedi, Eve Beaudin, la journaliste scientifique embauchée à temps plein en janvier dernier pour le Détecteur de rumeurs, est la seule des quatre intervenants à ne travailler que sur l’information scientifique. À ses côtés, Gary Dagorn (Les Décodeurs) et Alex Kasprak (Snopes), sont affectés en partie seulement à la science dans leurs médias respectifs.
Serait-ce parce que le niveau de difficulté est plus élevé que prévu? Comme l’explique Eve Beaudin dans sa conférence, la recherche derrière la plupart des sujets couverts depuis l’an dernier s’est en effet avérée, en général, plus complexe que ce qui avait été anticipé; nécessitant plus de nuances, plus de temps et plus d’efforts, avant qu’on puisse publier une version finale qui soit complète et intelligible pour le lecteur. Une bonne raison pour embaucher davantage de journalistes scientifiques !
Au-delà des fausses nouvelles, l’éducation aux médias
Par ailleurs, notre réflexion à l’Agence sur la désinformation va bien au-delà des « fausses nouvelles » de l’ère Trump. Outre le fait que la désinformation est un thème qui nous suit depuis des années, il est impossible d’oublier, lorsqu’on est journaliste scientifique, que la vérification des faits constitue l’ADN du journalisme. Et qu’en journalisme scientifique, elle prend une couleur particulière: ce n’est pas tout de trouver un expert ou une étude — ce que tout journaliste généraliste peut faire — encore faut-il savoir ce qui, en science, détermine la crédibilité de telles sources. Ce n’est pas tout d’expliquer avec clarté des faits scientifiques obscurs — ce que tout bon vulgarisateur peut faire —, encore faut-il le faire en toute indépendance des sources. La quatrième panéliste de ce samedi, Brooke Borel, pourrait aussi en dire un bout, elle qui est à la fois journaliste scientifique et auteure du livre de base Chicago Guide to Fact-Checking.
Or, l’idée que la vérification des faits fasse partie de l’ADN du journaliste est une idée qu’il vaudrait la peine de revaloriser auprès du public, à titre d’outil « d’éducation aux médias »: autrement dit, pour sensibiliser le public sur le rôle du journaliste, comment il accomplit son travail et dans quelles conditions souvent difficiles il l’accomplit. Une compréhension de ce processus pourrait aider à combattre la crise de confiance que vivent les médias face au public. En plus d’aider le public à lui-même mieux distinguer le vrai du faux dans l’information qui le submerge…
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