Subissant les froncements de sourcils d’une ribambelle de politiciens et de journalistes canadiens, la charte des valeurs à la sauce libérale, la loi 62 serait indigeste. Par contre, mieux vaut se faire un lunch que de manger à la cafétéria du multiculturalisme si l’on se fie à l’essai Les pièges de la culture des hommes de lettres danois, Jens-Martin Eriksen et Frederik Stjernfelt parut en 2008.
Yeux encore croûtés, j’ai manqué m’étouffer avec mon croissant en lisant le texte d’opinion de Francine Pelletier dans le Devoir du 25 octobre. La journaliste associe le niqab et la burka à la mode punk! Trois gorgées d’espresso plus loin, j’en viens à la conclusion que la comparaison est effectivement boiteuse. Tant qu’à traîner de la patte, le voile ressemble au couvre-chef de plastique que les vieilles dames se mettent sur la tête pour se protéger de la pluie. Si nos aînés ont travaillés toute leur vie pour les futures générations, le rapport du monde arabe à l’Occident est semblable. Il fut un temps où le centre du monde se situait quelque part entre l’Andalousie et l’Asie centrale…
Apparaissant dans le sillage d’une possible consultation sur le racisme systémique menée par des militants, dans l’optique d’une neutralité plutôt que d’une laïcité de l’État, la loi 62 semble un autre faux pas du Parti libéral résultant d’un calcul électoraliste, allant dans le même sens que la journaliste du Devoir. Par contre, les réprimandes envers le gouvernement du Québec des politiciens et journalistes canadiens sont sans fondements.
L’essai des danois Jens-Martin Eriksen et Frederik Stjernfelt propose une étude exhaustive du « culturalisme » par laquelle ils remontent aux origines du concept de « culture », afin de critiquer la vacuité du multiculturalisme en tant que politique fourre-tout. Au centre de cette analyse laborieuse, ce regard extérieur situe la version canadienne en la démontant. Pourquoi ne pas y jeter un coup d’œil?
Au Canada, deux philosophes théorisent l’idée que la société libérale peut prendre la forme d’une mosaïque dont chaque pièce serait, non pas les morceaux de différentes tasses cassées, mais plutôt des versions miniatures et réparées de toutes les grandes tasses culturelles: une société de ghettos subventionnés par l’État. Charles Taylor soutient l’auto-image des groupes marginalisés, c’est-à-dire la reconnaissance de ce qu’une culture a produit d’intéressant au-delà du socle de la société libérale et du bien commun. Alors que Will Kymlicka soutient que les cultures sont incarnées par les institutions, que la familiarité avec une culture détermine les limites de l’imaginable, c’est-à-dire que l’individu n’a d’autre liberté que celle que la culture lui accorde.
Si Kymlicka conçoit la possibilité de créer des sociétés parallèles avec chacune ses institutions, sa langue, sa législation, sa police, son territoire, etc., ce qui est le cas pour le Québec et pour les Premières Nations, Eriksen et Stjernfelt remettent en question ce «multiculturalisme libéral» en se demandant si ce concept n’est pas une énorme contradiction. Avec une telle philosophie, le multiculturalisme libéral devient de plus en plus difficile à distinguer de l’État de droit démocratique avec ses droits civils et ses droits de l’homme. Les exemples abondent dans le rapport écrit par Charles Taylor et Gérard Bouchard en mai 2008 pour le gouvernement québécois, mentionne le duo danois. Ainsi, la Commission sur les accommodements raisonnables a soumis le multiculturalisme canadien à l’épreuve des exemples concrets.
Kymlicka évoque l’urgence de développer une culture du compromis, où les ajustements culturels se font au cas par cas, par des compromis locaux comme offrir un local à des musulmans pour faire la prière ou servir des repas casher à bord d’un avion. Taylor lui donne raison pour leur côté pratique et flexible, mais ces ajustements culturels ne résolvent pas le problème général au moment où aucune des parties ne veut céder. Les onze propositions de l’hymne à la bonne volonté de l’« interculturalisme » issue du rapport Bouchard-Taylor semble la solution au vivre-ensemble… ou au « vivre-séparé » de la journaliste Francine Pelletier.
Reprenant l’image des tasses cassées, Eriksen et Stjernfelt expliquent en quoi le multiculturalisme canadien est voué à l’échec. Les tenants du multiculturalisme ont raison de dire que la métaphore du « melting-pot » comme c’est le cas aux États-Unis, dans lequel tous les différents morceaux finiront par se dissoudre et se confondre dans le même amalgame indifférencié, n’est pas une image adéquate du mélange des cultures dans la société moderne. Cependant, la mosaïque consiste plutôt en divers fragments de tasses cassées, et même si les gens ont le droit d’essayer de reconstruire des parties plus larges de ces tasses, ils ne sauraient le faire que conformément aux règles et aux contraintes de la démocratie, de l’État de droit et des droits de l’homme. Ainsi, le multiculturalisme tend à disparaître.
Si les politiciens et journalistes ont tellement à cœur la représentation de « tous » les Canadiens pourquoi ils ne misent pas sur la réforme du mode de scrutin promise par le Premier ministre Justin Trudeau en campagne électorale, pour que le vote de « tous » les Canadiens compte… vraiment.
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