Beau petit succès de ICI Radio-Canada qui doit entamer prochainement sa deuxième saison, voilà l’occasion idéale de découvrir ou redécouvrir la télésérie Lâcher prise, qui utilise un sujet important pour divertir intelligemment, soit le burn-out. Et bonne nouvelle, la candeur et la vivacité de sa distribution, de ses textes et de ses situations font qu’elle se réécoute avec autant de bonheur que la première fois.
On connaissait déjà le talent de Sophie Cadieux, mais elle trouve finalement en Valérie Danault un grand rôle pour exposer au grand jour tout ce dont elle est capable. Mieux, elle jouit d’une magnifique complicité avec la tout aussi excellente Sylvie Léonard qui se faisait d’ailleurs tristement plus rare sur nos écrans, dans le rôle de sa mère, une ancienne journaliste de prestige. Et disons que l’éclatante distribution ne s’arrête pas là. Bien sûr, Éric Bernier et Éric Paulhus sont amusants et Christine Beaulieu donne une jolie variation sur ses rôles habituels, mais on retient davantage, oui, la petite présence bien accueillie de Gildor Roy ou même Paul Ahmarani, mais encore plus celles de Jean-Moïse Martin et Simon Lacroix, idéaux dans leurs interprétations nuancées de rôles qui auraient pu vite tomber dans des gros clichés, soit un policier et un ex qui s’est avéré homosexuel au fil du temps.
L’idée on la doit à Isabelle Langlois qui, après avoir titillé les univers adolescents et de jeunes adultes après les succès indéniables de Radio Enfer et Ramdam (qui ont servi à plusieurs générations différentes), a continué d’enchaîner les succès, incluant Rumeurs. Elle renoue ici avec Stéphane Lapointe qui avait assumé la réalisation de quelques épisodes de Mauvais Karma, lui qui assure une carrière télévisuelle enviable, surtout en comparaison de ses sympathiques longs-métrages toutefois vite oubliés comme La vie secrète des gens heureux et Les maîtres du suspense.
La force de sa longue collaboration avec ICI Radio-Canada pour ses fictions se fait sentir dans la confiance qu’on lui accorde, l’excellente Faits divers présentement en diffusion de sa première saison en est encore la grande preuve, les deux démontrant également sa fascination pour la télé américaine, les influences provenant de Breaking Bad étant aussi surprenantes que nombreuses. La certaine classe et élégance de sa technique donne par moment droit à des choix surprenants, mais on salue le désir de ne jamais tomber trop souvent dans le trop tape-à-l’œil, et de laisser toute la place aux comédiens et aux textes souvent succulents, remplis de passages aussi hilarants que mémorables. Mieux, il y a toujours une stabilité lorsqu’un réalisateur et une scénariste prennent en charge la totalité des épisodes d’une saison et les amusantes compositions musicales de Serge Nakauchi Pelletier confirment sa belle carrière au cinéma et à la télévision, lui qui était déjà très apprécié pour son groupe Pawa Up First.
Certes, il y a certaines baisses de rythme dans la télésérie qui doit évidemment toucher à des passages plus sérieux compte tenu la problématique et certains personnages qui manquent de définition, surtout comparé à la profondeur des principaux. On pense notamment à la propriétaire d’un intrigant appartement qui sonne faux à chacune de ses répliques. Par contre, plusieurs moments sont assez anthologiques comme un épisode impliquant un clown et une confession sous influence suite à une plainte plus ou moins absurde. La qualité de la série demeure toutefois primordiale et lui permet de s’élever au-dessus des autres comédies dramatiques québécoises, ses six Gémeaux étant pleinement justifiés. De plus, lorsque la série ne nous fait pas éclater de rire, elle sait nous toucher par sa manière d’aborder avec réalisme les relations mère-filles tendues et à tendance dysfonctionnelle quoique purement 21e siècle.
Si le coffret DVD est dénué de tous suppléments, alors qu’on n’aurait pas dit non à quelques bloopers ou des petits segments making of sur les origines d’une série tout de même ambitieuse sur certains points, soit d’aborder le burn-out avec une délicate légèreté sans tomber dans l’apitoiement ou la comédie trop noire, on apprécie qu’on ait décidé de sortir la télésérie dans ce format. Un sort qui n’est pas promis à toutes les productions originales de la télévision québécoise, comme Les Simone qui n’est pas supposé être disponible autrement que numériquement.
Enfin, les treize épisodes se dévorent assez rapidement et sans trop de problèmes, on croise les doigts pour que la prochaine saison ne perde rien de son charme, à l’inverse de Mon ex à moi avec qui elle partage plusieurs affinités, mais qui avait incompréhensiblement changé toute la formule au deuxième tournant. Peur fondée par le fait que sa finale soit l’épisode le plus faible de la saison en réduisant le temps d’antenne d’un de ses éléments les plus forts et semblant plus ou moins boucler la boucle sur certains points dans l’éventualité que sa première saison soit également la seule.
Il ne faut toutefois pas bouder son plaisir. Lâcher prise est un immense bonheur et est certaine de divertir avec brio tout en amenant d’intéressantes réflexions sur le surmenage qui semble diriger la société de nos jours. En utilisant l’humour pour traiter de sujets comme l’importance de se parler, de s’écouter et de s’aider et s’entraider les uns et les autres, tout en ne manquant pas d’insuffler autant d’humanité que d’absurdité dans des situations de tous les jours, voilà une production qu’on recommande sans mal avec force et conviction.
8/10
La saison 1 de Lâcher prise est en DVD via Unidisc depuis le 12 septembre dernier. La deuxième saison doit débuter sur les ondes d’ICI Radio-Canada au début de 2018.