Bienvenue nulle part. Ou plutôt, bienvenue au bout du monde. Pour son documentaire Sur la lune de nickel, le cinéaste québécois François Jacob nous transporte dans l’extrême-nord de la Russie, là où l’hiver dure neuf mois par année, et où l’on s’éreinte à sortir de terre le précieux nickel en attendant une vie meilleure, ou encore la mort.
Bienvenue à Norilsk! Cette ville minière, située au nord du cercle polaire, montre sans doute le meilleur et le pire de la Russie. Le meilleur, d’abord, puisque les gens y sont chaleureux, travailleurs, endurants, ouverts aux autres… Le pire, ensuite, puisque la ville a été bâtie sans aucun regard pour la vie humaine: des centaines de milliers de prisonniers – intellectuels envoyés au goulag, prisonniers de guerre, ou simples citoyens ayant suscité l’ire des autorités soviétiques – y ont été déportés. Un quart de million d’entre eux sont morts. Morts d’épuisement à travailler littéralement comme des forcenés, morts de faim, morts de froids, abattus par des gardiens…
Le pire, aussi, parce que la ville est encore majoritairement fermée, c’est-à-dire que les travailleurs ne peuvent facilement en sortir, pas plus que l’on peut facilement y entrer. C’est d’ailleurs le FSB, l’héritier du KGB soviétique, qui supervise la région. Et c’est aussi une seule compagnie gigantesque, la Norilsk Nickel, qui contrôle cette ville de 110 000 habitants.
Entre les cheminées d’usines qui crachent de la suie et les immeubles d’habitation d’une autre époque aux murs lépreux, les symboles de la fierté communiste sont toujours présents. Travailler pour la patrie est source de patriotisme, clame-t-on à divers endroits.
Et dans ces appartements trop tassés, où l’on boit pour oublier ses problèmes, on rêve d’ailleurs. On rêve de Saint-Pétersbourg, de Moscou, de l’Europe… les jeunes rêvent de liberté, les adultes espèrent mettre suffisamment d’argent de côté pour déménager ailleurs avant qu’une maladie ne les emporte. Ou l’on se résigne, après avoir fui tous ses problèmes pour se réfugier dans cette ville coupée de tout, à mourir à Norilsk.
Film d’atmosphère – comment ne pourrait-on pas exploiter l’atmosphère d’un endroit pareil? -, Sur la lune de nickel pose un regard complexe sur un endroit qui n’est pas sans ressembler aux grandes villes minières du nord du Québec, où l’exploitation des ressources naturelles prime sur le développement humain. Les salaires y sont peut-être bon, mais l’âme s’assèche.
À Norilsk, la ville périclite peu à peu. Les immeubles se vident. Les gens meurent ou s’en vont. Et cela donne un goût doux-amer à ce documentaire à l’échelle à la fois terrifiante et profondément humaine.