La nouvelle création d’Angela Konrad à l’Usine C nous confronte à la culture du narcissisme actuelle, entre la quête d’un bonheur toujours plus grand et d’une toujours plus grande frustration.
Un comédien seul sur scène déblatère sur sa vie, ses désirs de rencontrer l’amour et avec lui le bonheur. Il se trouve ‘’face à l’étang de sa vie’’, se regarde dans cette eau vide de sens et pleure. C’est le Narcisse des temps modernes perdu entre lucidité ‘’aveuglante’’ et inavouable complaisance. D’aucuns se reconnaîtront en lui et ce n’est pas une image agréable que celle que cette scène nous renvoie. Auscultation permanente de sa propre petite personne sans aucun examen de conscience dans cette recherche nombriliste du bonheur. Bonheur qu’on croit pouvoir trouver en l’autre. Mais le bonheur n’est-il rien d’autre qu’un sentiment de surpuissance ? Se demande-t-il, citant Nietzsche.
La scène est vide, habitée seulement par un rectangle de lumière au sol et un écran de projection. L’espace lumineux agit comme un catwalk laissant défiler les autres personnages de la pièce. Ce sont quatre danseurs qui entrent et sortent au gré des réflexions et fantasmes du protagoniste, et viennent le narguer. Ils sont beaux et représentent la perfection (superficielle) à la fois recherchée et critiquée par cet homme. Il la convoite autant qu’il la hait. Sur les écrans, régulièrement, sont projetées les paroles de chansons quétaines dont la musique est simultanément jouée. Shirley, The Smiths, ca dégouline de sentiments d’amour. C’est un des aspects les plus intéressants de la pièce que de confronter ces deux univers, celui de la culture populaire et celui des considérations philosophico-psychanalytiques. Il semble qu’à l’heure actuelle, ces deux niveaux de pensées se confondent. Il suffit de regarder les réseaux sociaux où chaque publication autocentrée ridicule est agrémentée d’un commentaire pseudo-philosophique. Comble de l’égocentrisme. Cette mise en abîme inattendue et divertissante a l’autre avantage de rythmer un monologue quelque peu longuet et répétitif. Si on peut louer les mérites de ce travail osé, on peut aussi regretter qu’il finisse pas tourner en rond même si on comprend bien l’intention de nous abrutir par les tergiversations interminables de cet homme.
La rencontre entre acteur et danseurs, quoiqu’intéressante dans la forme, car représentative de deux présences scéniques et donc au monde différentes, nous apparait comme avortée. D’ailleurs les danseurs ne dansent presque pas. Sacré postmodernisme.
Pas de scénographie ni de costumes non plus. Les interprètes sont habillés à la mode Morrissey années 1980 (icône des Smiths et cher au cœur du personnage principal). La beauté visuelle n’a donc plus sa place sur les planches du théâtre? Quel dommage.
L’homme finira par choisir un chien comme clé de son bonheur. Pas trop exigeant, toujours présent et reconnaissant. Facile et rassurant. Tragique représentation de notre époque. Si l’écriture et la mise en scène de cette pièce est relativement bien menée par une Angela Konrad habile et un Éric Bernier talentueux, on ne peut s’empêcher de se demander: n’avons-nous rien de plus à dire aujourd’hui sur la condition humaine? Doit-on jouer des mêmes codes au théâtre que ceux que nous offre la vie quotidienne, pour la représenter? N’est-ce pas une manière d’encourager la facilité et la superficialité? Le désespoir n’offre-t-il donc aucun salut?
« L’amour ne se mérite pas, il se donne. » C’est peut-être l’enseignement principal que l’on doit retenir de cette pièce.
Last night I dreamt that somebody loved me
Du 10 au 21 octobre
Usine C