« Il faudrait qu’elle en revienne ». La phrase tombe, s’abat comme une tonne de briques. Une femme a été agressée, violée, et l’oeuvre Dans la nuit du 4 au 5, présentée au Théâtre d’Aujourd’hui, jette un éclairage dérangeant sur le malaise et les tabous encore tenaces entourant les agressions sexuelles.
Sous la plume de Rachel Graton, que l’on connaît entre autres pour son rôle dans la télésérie Les Simone, Dans la nuit du 4 au 5 est une exploration directe et brutale des diverses réactions à l’annonce d’un viol, réactions qui, malgré l’évolution des moeurs, semblent définitivement coincées dans les années 1950 ou 1960.
Que portait-elle? Connaissait-elle son agresseur? Pourquoi marchait-elle seule, la nuit? Le victim shaming tourne à plein régime, à un point tel que l’on se croirait dans une section commentaires sous un article publié sur Facebook, ou sur les ondes d’une ligne ouverte. Et si l’on espère de tout son être que la société a justement évolué, que ces réactions sont celles de gens vivant encore à une autre époque que la nôtre, force est d’admettre que l’auteure nous empêche de nous réfugier derrière l’habituel écran de fumée des bien-pensants.
Car cette obsession avec la faute des femmes, cette violence verbale et sociétale perpétuée depuis l’apparition du mythe du péché originel, tout cela est encore bien vivant. À preuve, l’affaire Gerry Sklavounos, ou, plus récemment encore, ce « viol consentant » d’une fillette de 11 ans par son père, en France. La victime ne s’est pas débattue? C’est donc qu’il n’y a pas eu crime, indique-t-on, en substance.
Devant cette horreur, et surtout devant la violence maladivement banale de l’agression sexuelle, du viol, les gens voulant bien faire se retrouvent face à un mur. Car on a beau vouloir forcer une réflexion généralisée sur le rapport au corps et sur les relations sexuelles, il reste aussi la question de la guérison. En ce sens, le processus rejoint en partie le traitement d’une dépression, par exemple. Il n’existe pas de marche à suivre clairement définie pour se remettre d’un viol. Pas d’étapes inscrites noir sur blanc sur une feuille servant à noter la progression d’une victime. Et à vouloir trop aider, à vouloir trop en faire, on se met parfois les pieds dans les plats.
Le voilà, le malaise de la pièce. Malaise de l’agression, malaise des réactions, malaise de la guérison. Et avec cette ambiance glauque, oppressante, ces lumières blafardes, cette mise en scène quasi-lugubre, pas question de s’en sortir sans être touché, transformé d’une façon ou d’une autre.
Dans la nuit du 4 au 5 n’est pas un drame larmoyant. Il s’agit plutôt de mettre le doigt sur le bobo, comme le veut l’expression consacrée. Et ça fait mal.
Au Théâtre d’Aujourd’hui jusqu’au 14 octobre. Supplémentaires les 17, 19, 20 et 21 octobre.