Il y a eu la télésérie, bien sûr. Celle lancée sur Hulu, celle dont la seule bande-annonce avait fait pousser les hauts cris à la droite conservatrice et religieuse américaine, et celle qui a fait le plein de trophées lors des derniers Emmys.
Mais au-delà de la transposition au petit écran de Handmaid’s Tale, il existe aussi (et surtout!) une version papier de cette dystopie politique et sociale, intitulée La servante écarlate dans la langue de Molière.
Le roman, écrit en 1985 par l’auteure canadienne Margaret Atwood, dépeint une société futuriste où les institutions américaines ont disparu pour laisser la place à Gilead, une théocratie où les rares femmes fertiles font office d’utérus sur deux pattes pour le haut de la pyramide du pouvoir. Ces commandants, bien entendu tous des hommes, disposent ainsi de la forme la plus terre à terre d’une mère porteuse, qu’ils « ensemenceront » bibliquement jusqu’à obtenir un enfant. Cette progéniture sera ensuite confiée aux Épouses de ces Commandants, et la véritable mère sera envoyée dans un autre foyer, avec un changement de nom à la clé.
Il est difficile d’imaginer une telle société ayant cours aujourd’hui… du moins au Canada. Une société où les femmes ne sont non seulement pas libres de leur corps, mais ne vont pas à l’école, ne peuvent exercer un métier – à l’exception des métiers féminins « traditionnels », et encore -, ne peuvent être des personnes à part entière.
De l’autre côté de la frontière, les sursauts nationalistes et intégristes d’une partie de la société américaine font craindre le pire. Heureusement que la population ne semble plus être dupe des écrans de fumée déployés par la classe politique.
Écrite en 1985, donc, cette Servante écarlate n’a pas besoin de résoudre le problème de l’omniprésence des appareils de communication. On peine à imaginer, en effet, ce que pourrait être un monde sans internet, sans téléphones cellulaires, sans gadgets connectés. La déclinaison télévisuelle balaye tout cela sous le tapis, bien discrètement, mais en 1985, alors que l’informatique personnelle prenait à peine son essor, la profession de foi passe plus facilement.
Que dire, alors, de ce récit qui donne froid dans le dos? Racontée à la première personne, selon le point de vue de cette Defred dont nous n’apprendrons jamais le véritable nom, cette épopée cauchemardesque est plus introspective, plus réflexive. L’auteure se penche de façon fort intéressante sur la notion de désir, qui peut parfois être séparée de celle de l’affection, certes, mais qui en vient, en un sens, à définir l’ensemble de cette société aux apparences bibliques, mais qui s’est aussi inspiré de sources aussi diverses que certains principes du communisme.
Gilead, on s’en doute, sèmera éventuellement les graines de sa propre destruction, mais cela, nous n’en serons pas témoins. Atwood réussit le tour de force de construire un univers complexe sans surcharger le lecteur de détails.
On aurait bien entendu aimé en apprendre davantage, comprendre les motivations intrinsèques des dirigeants de ce monde où les femmes fertiles sont réduites à leur plus simple expression, mais Margaret Atwood s’est gardé quelques secrets. Pour le reste, nul doute que la télésérie, dont la deuxième saison a été commandée, saura approfondir cet univers morbidement fascinant.
La servante écarlate, de Margaret Atwood, publiée en format poche aux éditions Robert Laffont, 511 pages.