Le sauvetage en juin d’un jeune béluga près de Nepisiguit, au Nouveau-Brunswick et les efforts considérables pour le relocaliser dans le Saint-Laurent, ont rappelé la précarité de ces mammifères marins. Une récente étude québécoise démontre que malgré 10 ans d’interdiction, un contaminant appelé retardateur de flamme est toujours présent chez les bélugas du Saint-Laurent.
Les mesures prises au Canada pour interdire depuis 2006 ces polybromodiphényléthers (PBDE), n’ont donc pas eu l’impact espéré. Ce contaminant est présent dans les plastiques, mousses et résines des produits électroménagers.
Dans le fleuve, « nous n’avons malheureusement pas constaté de baisses de la contamination chez cette population plus sédentaire, et donc plus exposée que le petit rorqual », résume le professeur au Centre de recherche en toxicologie de l’environnement de l’Université du Québec à Montréal, Jonathan Verreault.
Les chercheurs ont analysé la présence de 45 contaminants dans le gras des bélugas et de petits rorquals trouvés morts dans l’estuaire et le golfe, ainsi que dans les eaux du Nunavik. Résultat, le béluga du Saint-Laurent (Delphinapterus leucas) montre 4 fois plus de contamination que les deux autres.
Cet animal qui peut vivre jusqu’à 60 ans trône en haut de la chaîne alimentaire, ce qui provoque une accumulation des contaminants dans ce qu’il ingère. « C’est un prédateur opportuniste à l’alimentation variée (poissons, calmars, etc.), contrairement au rorqual qui consomme du zooplancton. La bioaccumulation des contaminants est le résultat d’années d’ingestion d’animaux contaminés », explique le Pr Verreault.
Un rescapé, combien de condamnés?
Les chercheurs n’ont pourtant pas pu confirmer l’hypothèse d’une augmentation des décès accrus des bébés et des femelles à cause de la seule contamination.
Un chercheur de l’ouest canadien, Robert Williams, avait pour sa part mené une analyse de viabilité de la population, en cherchant à mesurer l’impact de chacune des menaces qui pèsent sur les bélugas : la diminution de l’abondance des proies, la contamination chimique, le bruit et le dérangement.
Son étude, parue plus tôt cette année, montre que les changements dans l’alimentation, le bruit et les BPC, constituent les principaux facteurs de stress. Mais les chercheurs ont du mal à isoler une seule menace.
Reste que depuis 2008, les biologistes observent un lent déclin de la population des bélugas du Saint-Laurent. Un taux de mortalité élevé de bébés, dont l’hécatombe de 2012 avec 16 décès, mais aussi un taux de mortalité élevé chez les femelles lors de la mise bas.
« Nous avons fait des bonds de géant du côté de la connaissance, mais le portrait général n’a pas changé avec un lent déclin de la population : 1 à 1,5 % par an. Nous allons devoir être patients, car les bélugas vivent encore avec les conséquences de nos gestes passés (chasse, contaminants) », relève le directeur scientifique du Groupe de recherche et d’éducation sur les mammifères marins (GREMM), Robert Michaud.
Depuis novembre 2014, l’espèce est classée « en voie de disparition » par le Comité sur la situation des espèces en péril au Canada. Un Programme de rétablissement du béluga du Saint-Laurent a été publié en 2012. Mais sa mise en oeuvre est lente.
L’espèce couvre en été un territoire allant, dans le fleuve, de Saint-Jean-Port-Joli jusqu’à Rimouski, ainsi qu’une petite partie de la rivière Saguenay. Reliquat de la dernière glaciation, elle diffère des bélugas de l’Arctique et rassemble actuellement moins de 1000 individus. Ces bélugas « du sud » préfèrent en hiver les eaux de l’estuaire maritime et celle du nord-ouest du golfe du Saint-Laurent, dotées d’une couverture de glace moins dense.
La navigation commerciale, en très forte augmentation sur le fleuve Saint-Laurent et sur la rivière Saguenay, rivalise avec la navigation de loisirs (kayak, voiliers) pour déranger ces animaux. La période de mise bas estivale (juillet et août) coïncide en effet avec le tourisme et l’affluence des croisières de découverte des baleines. Et c’est sans compter les changements climatiques.
« La recherche de solutions à la contamination oublie trop souvent de prendre en compte la préservation des écosystèmes marins. Un contaminant remplace un autre sans anticiper les conséquences à longue durée avec lesquelles devront vivre les bélugas », conclut Robert Michaud.