La résistance des Sioux au passage du Dakota Access Pipeline (DAPL) à Standing Rock a été le théâtre du changement de présidence aux États-Unis. À l’ombre de ces luttes politiques sincères, mais instrumentalisées par le pouvoir, les universitaires veillent à archiver l’authenticité de la diversité autochtone.
Les Américains célèbrent le bicentenaire d’Henry David Thoreau en 2017, qui se définissait comme un citoyen voyant l’éducation comme la plus grande marque de la démocratie. Animé par l’abolition de l’esclavage, ce penseur a tourné le dos à ses racines européennes en explorant la nature sauvage. Dans la même veine, les peintres paysagistes ont fixé ces grands espaces sur leurs toiles. Le siècle suivant, l’écrivain Jack Kerouac note les détails de ses traversées du continent sur le rouleau qui deviendra l’œuvre On the Road parut en 1957, puis le road movie apparaît au grand écran. Avant l’engouement pour la grandeur du territoire des États-Unis, les peuples autochtones foulaient déjà ce sol de leur mode de vie localisé.
Ishi était le dernier autochtone qui parlait le Yahi, la langue utilisée dans la zone du centre et du nord de la Californie où vivait le peuple Yana entre les fleuves Feather et Pit. Il a vécu seul pendant plusieurs années jusqu’à ce qu’il ait été arrêté par le shérif d’Oroville. Il a été amené au musée d’Anthropologie de l’Université de Californie où les chercheurs ont étudié sa langue. Ishi est décédé en 1916, mais le Yahi est demeuré bien documenté à l’intérieur d’un cylindre de cire, rapporte La Vanguardia du 12 août. Il s’agit d’un enregistrement parmi les milles conservés, dont des langues éteintes, oubliées, de cultures disparues.
Les chercheurs de Berkeley ont commencé la numérisation de plus de 100 heures d’écoutes incluant 78 langues distinctes des autochtones de Californie. « Il y a des enregistrements qui sonnent mal, juste du bruit sans que l’on puisse identifier son contenu », explique le linguiste, Andrew Garrett. La numérisation et la restauration de la collection, dont la récupération des cylindres qui sont brisés ou détériorés, a pour objectif de rendre tout ce savoir aux communautés autochtones et de le diffuser dans les écoles.
Les langues autochtones ne sont pas que matière à enseignement d’une diversité éteinte. Lors de la Seconde Guerre mondiale, l’armée japonaise n’arrivait pas à décrypter les messages tactiques codés des orateurs Navajos au service l’armée américaine.
Amérique du Nord
L’initiative de l’Université de Californie rejoint celle de numériser la médecine traditionnelle des autochtones du Mexique de l’Université nationale autonome du Mexique (UNAM) dans une bibliothèque en ligne accessible à tous. Au Canada, les universitaires entretiennent une réflexion sur le multiculturalisme dont la place qui revient aux autochtones. « Si le multiculturalisme à la façon du radicalisme de campus est donc loin d’avoir proposé des mesures politiques concrètes, il joue néanmoins un rôle important dans le débat sur le multiculturalisme. Il adhère à une version floue et utopique du multiculturalisme, qui rêve de pouvoir résoudre les problèmes et les conflits culturels en changeant simplement le discours dans lequel ces problèmes sont posés – donc, paraît-il créés », écrivent l’essayiste Jens-Martin Eriksen et le professeur de lettres Frederik Stjernfelt dans l’ouvrage Les pièges de la culture, publié en 2012.
Si les campus disposent d’une perspective pour étudier les enjeux interculturels, les politiques des gouvernements marginalisent les peuples autochtones qui d’une part subissent les conséquences de leur isolement, et d’autre part doivent contribuer à la justice d’un gouvernement inconséquent à leur égard. L’Enquête nationale sur les femmes et les filles disparues et assassinées au Canada et les multiples violences subies par les autochtones au Mexique ne sont que la pointe de l’iceberg d’un laisser-aller politique induit par un manque de transparence.
Enfant du multiculturalisme, le premier ministre Justin Trudeau signe l’Accord de Paris sur le climat et se fait encenser par les représentants de l’industrie du pétrole au Texas, de même qu’il exige des excuses du Pape pour le colonialisme de l’Église envers les autochtones alors que les membres de l’Enquête nationale dénoncent le processus colonialiste de cette enquête instaurée par son gouvernement.
À l’opposé de ce va-et-vient contradictoire, un peuple du Chiapas, l’État le plus pauvre du Mexique, s’organise. Le Mouvement de régénération nationale (Morena) va présenter une candidate zapatiste aux prochaines élections afin d’affirmer la force des 56 ethnies autochtones, soit seize millions d’habitants, ou 15 % de la population, rapporte le Monde diplomatique de juin.
« Nous ne pensons pas à former un État dans l’État, mais un endroit où être libres en son sein », répètent les commandants de l’Armée zapatiste de libération nationale (EZLN) au fil de leurs marches à travers le pays.