Des résidents expulsés de logements où ils vivaient depuis des années. Des immeubles repris et rénovés sous de faux prétextes pour en tirer davantage de revenus. La multiplication des tours de condominiums, souvent au mépris de la beauté du paysage ou de l’aménagement urbain. La cinéaste Carole Laganière livre une charge documentaire contre la gentrification montréalaise dans Quartiers sous tension.
La gentrification est effectivement un problème à Montréal, et ce depuis de nombreuses années. Si l’on peut dire que le Plateau-Mont-Royal est déjà passé du côté des spéculateurs immobiliers et des appartements et des maisons hors de prix, le phénomène a déjà commencé à s’étendre aux quartiers voisins; Rosemont, d’abord, mais aussi Hochelaga-Maisonneuve, où le choc semble être le plus rude entre nouveaux riches, familles ayant récemment accédé à la propriété et gens aux moyens plus modestes depuis longtemps établis dans le quartier.
Est-ce une représentation de l’accroissement du fossé entre riches et pauvres, ou plutôt une transformation normale du tissu urbain, alors que le Montréalais moyen est plus éduqué, et donc possiblement plus en moyens, et moins désireux de s’exiler en banlieue pour y élever sa famille?
D’une durée d’à peine une cinquantaine de minutes, Quartiers sous tension y va parfois un peu rondement pour tenter d’expliquer le phénomène. Oui, les propriétaires véreux expulsant des locataires pour de mauvaises raisons devraient être mieux encadrés. Oui, la Régie du logement devrait se ranger davantage du côté des locataires, histoire de faire respecter les droits de ces derniers et ainsi éviter les hausses de loyers qui contribuent à l’exode des gens aux moyens plus modestes sur le pourtour des quartiers centraux, souvent loin des services de proximité et du transport en commun – et contribuant du même coup à l’embourgeoisement du centre.
Mais la question de la gentrification, c’est également celle de la renaissance de certains quartiers. Doit-on figer des quartiers pauvres à une époque précise et ainsi prolonger la lente décrépitude du patrimoine bâti, ou encore maintenir les gens dans la misère en ne favorisant pas l’émergence de commerces locaux offrant par exemple davantage de produits frais et meilleurs pour la santé? Le film passe très rapidement, d’ailleurs, sur ces vandales qui, sous prétexte de combattre la gentrification, s’en prennent à des commerçants locaux qui embauchent dans leur quartier. À quand remonte le dernier jet de peinture contre un McDonald? Ou le bris des vitrines du Starbucks du coin?
Mme Laganière ne s’attarde pas non plus à la question du financement municipal. Après tout, une grande partie des entrées d’argent de Montréal, par exemple, est associée aux taxes foncières. Et donc, qui dit condos neufs faisant augmenter la valeur des immeubles et des terrains aux alentours, dit hausse de taxes foncières et revenus supplémentaires dans les coffres de l’administration. Faut-il réformer la façon dont le gouvernement du Québec répartit les budgets municipaux?
Pauvreté, offre commerciale limitée, éducation, structure fiscale, valeur du patrimoine bâti, contrôle des loyers, spéculation immobilière, densification des quartiers centraux, construction en fonction des réseaux de transport collectif, ou même encore travail à domicile et diversification des structures économiques… tout cela se télescope dans le maelström de la gentrification.
Quartiers sous tension aurait eu besoin de trois ou quatre heures de pellicule pour approfondir toutes ces questions. Le résultat final s’avère donc décevant, le produit de Mme Laganière tenant davantage du brûlot que d’une invitation à débattre et à réfléchir.
Quartiers sous tension sera présenté samedi sur les ondes d’ICI Radio-Canada Télé.
https://www.youtube.com/watch?v=owgvJOHBm0g