Ah, l’an de grâce 2006… Fort de son succès culte Morrowind, le studio de jeux vidéo Bethesda Softworks lance Oblivion, quatrième titre « officiel » de la saga The Elder Scrolls. Onze ans plus tard, le titre semble à jamais coincé entre la nostalgie éprouvée envers son prédécesseur et l’incroyable longévité et modularité de son successeur, Skyrim.
Dans la province de Cyrodiil, coeur politique de l’empire de Tamriel, l’empereur est victime de mystérieux assassins désireux d’ouvrir différents portails démoniaques donnant sur une dimension maléfique. Afin de vaincre le sinistre Mehrunes Dagon, prince du chaos, notre héros devra faire preuve de force, d’agilité, d’ingéniosité et de courage.
À l’image des autres titres de la série The Elder Scrolls, Oblivion place un personnage inconnu au centre d’une machination aux dimensions quasi-planétaires. Cet individu sans nom, qui entame, comme à l’habitude, sa quête dans un donjon, est-il vraiment l’élu? Saura-t-il triompher des forces du Mal? L’idée est connue des amateurs de la série, mais Oblivion s’annonçait, à l’époque, comme une révolution. Après tout, si Morrowind avait franchement impressionné, lors de sa sortie, cela faisait maintenant sept ans que les passionnés de jeu de rôle n’avaient pas eu de véritable titre de la saga à se mettre sous la dent. Pour ce journaliste, les captures d’écran présentées avant le lancement du jeu donnaient déjà l’impression que la qualité des visuels avait été grandement renforcée. Finis les personnages carrés, les démarches aux allures robotiques, ou encore les satanés cliff racers se déplaçant maladroitement dans les cieux de l’île de Morrowind avant de fondre rageusement sur le joueur!
Après Vvanderfell et ses créatures et habitants étranges, tout au nord-est de l’empire, voilà que l’action d’Oblivion se déroule au coeur même de Cyrodiil, la province centrale, alors que notre quête débute dans les geôles, puis les égoûts de la Cité impériale. Pour l’époque, la cinématique d’ouverture, avec ses vertes forêts et la gigantesque spire de la tour centrale de la capitale, avait de quoi émerveiller.
Oblivion marque aussi le passage à un véritable style de jeu à « monde ouvert ». Alors que Morrowind permettait certes d’accomplir quasiment toutes les quêtes dans le désordre, on y retrouvait malgré tout un état de « fin de jeu », après la victoire ultime sur les forces du Mal. Si, dans Oblivion, il y a bel et bien un combat ultime en fin de partie, point de générique par la suite: le joueur est tout à fait libre de poursuivre son exploration du monde pour en dénicher tous les secrets. Quant à savoir s’il s’agit là d’un avantage ou d’un inconvénient en matière de conception de jeux vidéo, le débat continue de faire rage aujourd’hui.
Dans une perspective de couper certains ponts avec les structures sous-tendant les précédents titres Elder Scrolls, les concepteurs ont également voulu présenter le monde d’Oblivion comme étant plus « réaliste ». S’il n’y est pas encore question de « simplifier » le jeu à un point tel que les armes ne s’usent plus, par exemple, comme cela sera le cas dans Skyrim, cinq ans plus tard, Oblivion permet enfin au joueur de véritablement bloquer les coups à l’aide d’un bouclier. Il est encore possible d’encaisser des points de dégât si la compétence de protection n’est pas suffisamment développée, bien sûr, mais cette décision, bénigne en apparence, permet l’émergence d’un combat plus tactique, plus précis. Il était enfin devenu possible, entre autres, de déséquilibrer son adversaire en parant son coup, pour ensuite profiter de l’ouverture ainsi créée dans la garde de son ennemi et riposter.
Oblivion est aussi le premier jeu de la série à passer à des dialogues entièrement enregistrés. Finis, ces véritables romans qu’il fallait péniblement lire à l’écran dans Morrowind. Mais qui dit dialogues enregistrés dit aussi choix d’échanges plus limité, au grand dam des amateurs de l’aspect « rôle » dans « jeu de rôle ».
De fait, Oblivion sera vivement critiqué pour plusieurs changements majeurs qui, de retour dans Skyrim cinq ans plus tard, feront fâcher les puristes. D’abord, l’apparition d’une sorte de « roulette » servant à tenter d’influencer un personnage non joueur lors d’un dialogue avec celui-ci. Heureusement disparu dans Skyrim, ce système était inutilement complexe et dysfonctionnel. En fin de partie, il devenait plus facile de payer les gens pour qu’ils deviennent vos amis. Un peu comme dans la vraie vie, sans doute.
Oblivion marque aussi l’apparition du bloom dans les décors. Cette méthode visant à afficher des visuels en surbrillance aide à donner une impression de « magie » ou de féerie, mais les joueurs ne sont pas dupes: ce même bloom permet habituellement de dissimuler des décors réalisés à la hâte. Autre technique graphique en vogue pour l’époque, les personnages semblent tous souffrir de jaunisse et de gigantisme du visage. Avait-0n des surplus budgétaires qu’il fallait absolument dépenser dans le département de la conception graphique?
Et ne parlons pas non plus du tristement célèbre contenu téléchargeable consistant en une seule et unique armure. Pour son cheval. Oui, Bethesda a produit d’autres DLC, y compris une excellente expansion appelée Shivering Isles, mais cette armure pour cheval offerte sous la forme d’un contenu payant est encore, 11 ans après les faits, considérée comme l’un des pires exemples de ce qui ne fonctionne pas dans l’industrie du jeu vidéo.
Faut-il aussi mentionner l’hilarante capacité de bonifier ses capacités athlétiques à un point tel qu’il devient possible de franchir des niveaux complets en courant plus vite que les monstres, et donc sans devoir jamais sortir son épée? Ou encore la fâcheuse tendance des monstres à gagner en puissance à mesure que le joueur monte de niveau, et ce à un point tel qu’un gobelin donnant du fil à retordre au niveau 5 est toujours aussi menaçant au niveau 40?
Mais il serait facile de continuer de casser du sucre sur le dos d’Oblivion. Pourtant, pour l’époque, le jeu était audacieux. Le titre a ses problèmes, oui – et beaucoup de problèmes, même, mais certains de ses aspects étaient franchement excellents. Visuellement, le jeu impressionnait en 2006. Idem pour certaines villes, donjons et autres cachettes à découvrir et explorer. Et que dire de l’excellente expansion Shivering Isles, avec ses personnages complètement fous et sa quête de longue haleine?
Oblivion n’est pas un classique. Coincé entre aïeul qui attire son lot de nostalgie quasi-religieuse et un descendant qui a abâtardi plusieurs concepts de jeu, certes, mais qui s’est ouvert au monde avec ses modifications par milliers et ses décors plus diversifiés, le jeu tient encore debout, mais son souvenir risque de s’effacer rapidement.