Comment décrire Les insouciants, plus récent roman de l’auteur d’origine montréalaise Peter Behrens? Faut-il parler d’une saga historique? D’une représentation du climat politique européen durant la période allant des premiers jours de la Grande Guerre à la veille de l’éclatement du deuxième conflit mondial? D’une histoire d’amour qui se déroule au mauvais moment, au mauvais endroit?
Dans une Europe du début du siècle dernier, Billy Lange vient au monde sur une petite île isolée de la côte anglaise, d’une mère irlandaise et d’un père allemand. Ballotté par les vents, mais aussi par les courants géopolitiques, voilà que Billy et sa famille doivent « retourner » en Allemagne, le père était expulsé d’Angleterre après avoir passé quatre ans et demi en prison pendant la guerre de 14-18.
Parallèlement, Les insouciants est également le récit des derniers jours de la vie de Billy Lange dans une Allemagne au bord du précipice, où les partisans et les troupes nazis font régner la terreur. Si notre personnage devenu un trentenaire possédant un emploi enviable et une bonne situation, le fait d’avoir grandi sous l’aile d’un baron juif autrefois riche et puissant le place dans une situation délicate. D’autant plus que son amie d’enfance devenue son amante, Karin, est la fille du baron en question, et que sa survie est menacée à court terme.
Voilà donc deux existences qui se déroulent en parallèle, à coups de reculs et d’avancées sur une tumultueuse ligne temporelle. Avec une excellente plume – et les services de la traductrice Isabelle Chapman, pour la version française parue aux Éditions XYZ -, Behrens dépeint une société déboussolée, désireuse de reléguer le sombre passé derrière elle, mais qui s’en avérera ultimement incapable. Il s’agit ici, après tout, d’un parallèle évident entre l’histoire de nos protagonistes et celle de l’Europe qui court à sa ruine. De part et d’autre, on s’accroche aux moments idéalisés d’un passé révolu. Et si la situation donnera l’impression de s’améliorer pendant un temps, la crise économique, puis la spirale xénophobe et nationaliste aura tôt fait de faire voler en éclat ce faux-semblant de bonne entente entre les peuples.
C’est là la principale force de Behrens; tracer le portrait de gens ordinaires coincés dans des situations extraordinaires, et qui devront accomplir tout ce qui est en leur pouvoir pour espérer surnager, ou peut-être même survivre.
Un ouvrage particulièrement solide.
Les insouciants, de Peter Behrens, paru en français aux Éditions XYZ, 599 pages