Qui n’a pas sourit en voyant le ministre de l’Éducation, Sébastien Proulx annonçant la nouvelle réforme habillé « en sport »? La philosophe et professeure au collégial, Joëlle Tremblay met en contexte l’éducation québécoise dans l’essai L’inéducation: l’industrialisation du système d’éducation au Québec aux éditions Somme Toute publié en 2017 afin de nous éclairer sur une évidence: le système éducatif québécois ne forme plus les citoyens.
« Nous avons atteint nos objectifs de vente cette année », affirme le gérant d’une grande librairie. « Parfait, nous allons continuer de la même façon pour la prochaine année!? », lui répond son employé-libraire. « Non, il faut faire plus! », rétorque le gérant. Cette démesure corporative en vogue dans une société de plus en plus néolibérale est davantage représentative de « l’industrialisation » évoquée dans l’essai que l’image du moulin à viande de la chanson Another Brick In The Wall de l’album The Wall (1979) composée par Roger Waters. Au lieu de maintenir son but premier étant « l’actualisation de l’humanité chez l’enfant», le système d’éducation répond à la volonté utilitariste des gouvernements à travers une succession de réformes.
Aux multiples coupures dans le budget de l’éducation nuisant à l’efficacité de l’enseignement, la philosophe nous explique les divers stratagèmes financiers qui hypothèquent l’avenir de notre société, dont l’accentuation du clivage social entre les élèves des écoles privées et des écoles publiques. Ou encore que l’accent mis sur la spécialisation technique au détriment de la culture générale prive les futurs travailleurs d’une formation bénéfique pour les employeurs, c’est-à-dire la polyvalence et l’adaptabilité. Sans oublier la précarisation du statut d’enseignant, notamment par l’augmentation du nombre de chargés de cours à l’université, alors que celui des professeurs « fond » à mesure que ceux-ci prennent leur retraite.
Présent dans le fonctionnement et le financement du réseau, le souci de rentabilisation du système scolaire ou le modèle « utilisateur-payeur » s’est immiscé dans la classe dans le rapport que les élèves peuvent entretenir avec le savoir et les apprentissages, soulève la philosophe. Axé sur la pédagogie plutôt que sur la théorie, l’enseignement fait valoir les enjeux du quotidien et du rendement du travail afin d’assurer notre survie.
Annexion
Avant d’en arriver à la « posture d’aveuglement » généralisée vis-à-vis l’éducation, la philosophe situe la création du ministère de l’Éducation en 1964 dans l’histoire en posant la Révolution tranquille comme laboratoire de réforme. Ainsi, lorsque la souveraineté d’un État est remise en question, on fait appel à la dimension de la culture au sens large pour définir le tronc commun à enseigner. Au Québec, la formation générale obligatoire dans les cégeps est composée de la littérature, de la philosophie, de l’anglais et de l’éducation physique. Selon l’auteure, le rapport Demers et la Commission Robillard favorisent la transformation de la formation générale vers le modèle canadien des humanities. De même que de fermer les cégeps pour ouvrir des Écoles de métiers en transformant les écoles secondaires en High School.
La vue d’ensemble proposée dans l’essai n’a rien de superflu. Dans le Monde diplomatique du mois de mai, l’envoyé spécial Loïc Ramirez explique que la russification de la région séparatiste du Donbass se traduit, entre autres, par l’éducation. « Nous avons augmenté les heures de langue russe et, désormais, l’examen final d’études secondaires comprend une épreuve de russe obligatoire, et non plus d’ukrainien. Nous avons accru la part d’auteurs russes dans les études littéraires, sans pour autant supprimer les auteurs ukrainiens. En géographie, nous avons ajouté des cartes du Donbass », rapporte-t-il.
Alors que dans le Monde diplomatique de juin, l’envoyé spécial François Cusset s’est rendu au Chiapas dans le sud du Mexique où on retrouve les Zapatistes pratiquant l’autogouvernement depuis le début des années 1990. « Si les quelque six cent écoles zapatistes des cinq zones proposent toutes trois cycles d’études… on retrouve partout des cours d’espagnol et de langue indienne, d’histoire coloniale et d’éducation politique (critique du capitalisme, études des luttes sociales dans d’autres pays), de mathématiques et science naturelles («vie en milieu ambiant»). Du ménage aux fresques murales, le travail collectif est quotidien », rapporte-t-il.
Au-delà de l’Éducation, cet essai nous amène à nous questionner sur la tangente néolibérale des gouvernements comme s’il s’agissait de la voie neutre vers le progrès. Une orientation soutenue par les tenants du multiculturalisme, souvent désemparés face aux enjeux interculturels. La journaliste Émilie Dubreuil nous en offre un bel exemple de par son documentaire Je veux savoir diffusé à la télé de Radio-Canada le 13 mai 2017.
https://www.youtube.com/watch?v=jeC1gjh5NOk
L’inéducation: l’industrialisation du système d’éducation de l’auteure Joëlle Tremblay, à lire par un avant-midi pluvieux !
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