Si l’on associe Edgar Wright à Nick Frost et Simon Pegg pour la succulente trilogie Cornetto, ou encore à Bryan Lee O’Malley pour sa mésestimée adaptation de Scott Pilgrim, le voilà qu’il se dévoile enfin dans son intégralité avec sa première œuvre dont il a assuré la totalité du scénario et de la réalisation. Ironiquement appelé Baby Driver, son premier véritable bébé est sans conteste flamboyant, se nourrissant d’une jouissance qui culmine en un véritable délire dont lui seul a le secret.
Edgar Wright a toujours eu un sens du rythme calculé au quart de tour se jouant d’un montage rapide et maîtrisé, mais aussi d’un goût unique pour styliser ses films de manière pas toujours attendue, mais constamment agréable pour les yeux, les oreilles et l’esprit. En carburant à une énergie singulière, mais fourmillant aussi de détails qui valent la peine de multiplier les écoutes pour déceler toutes les subtilités visuelles et sonores, ses amateurs savent qu’ils ne s’ennuieront pas devant ses créations, mais aussi que leur intelligence ne sera décidément pas laissée au vestiaire.
Pour son premier long-métrage « américain », le voilà qu’il a décidé de prendre son appréciation de la vitesse au sens propre en s’offrant un film de voitures proposant des poursuites que même Fast and the Furious ne renierait pas. En termes de prémisse, c’est simple. Baby est un jeune chauffeur aux capacités uniques qui doit repayer une dette en faisant équipe avec un escroc. Le hic, c’est que son incursion dans le monde du crime deviendra de plus en plus problématique face à son désir de vivre à plein régime son amour grandissant pour une pétillante serveuse qui est propulsée par le même esprit rêveur.
C’est là que le mélange des genres deviendra inévitable. Poursuites, vols de banque et romance notamment, en plus d’un humour omniprésent avec plusieurs répliques qui fondent en bouche, s’entremêleront dans un film qui deviendra, faute d’un qualificatif plus approprié, un autre « film d’Edgar Wright ». Puisqu’au-delà du soin apporté à l’image et aux détails, le cinéaste poussera de façon considérable son travail sur le son, usant à plein régime de son excellente trame sonore (comme il nous y a habitué en fait), mais aussi sa façon de remixer à même le film les pièces qu’il utilise pour rythmer ses séquences donnant lieu à des moments de grand génie.
À cela, il faudra sans mal avouer que sa première demi-heure frôlera admirablement bien la perfection. Il faut dire aussi que sa belle distribution ne fait aucun tort. Outre Jamie Foxx, volontairement désagréable, mais forçant probablement un peu son jeu, on savoure Jon Hamm, toujours sans failles; Ansel Elgort, épatant de retenue dans le rôle-titre, et bordée d’une chimie magnétique avec la délicate Lily James. Il faut aussi mentionner CJ Jones, véritablement sourd et muet, des plus attachants dans le rôle, en quelque sorte, du mentor du protagoniste. Toutefois, c’est l’ingénu Kevin Spacey qui vole la vedette avec un rôle qui n’en finit plus de se métamorphoser. Comme quoi, même après toutes ces années et ces deux Oscars, l’acteur continue de nous surprendre par son talent.
Là où le bât blesse un peu, c’est dans le centre de l’oeuvre, alors que certaines intrigues prennent un peu de temps à se situer et/ou se resituer, alors que Wright délaissera un peu la mise en scène tape-à-l’œil pour approfondir son histoire, ce qui alourdira quelque peu le rythme. D’autant plus que, rendu-là, c’est davantage la forme au-delà du fond qui nous intéressera, les talents de metteur en scène de Wright étant trop fabuleux pour être laissés en arrière-plan. Dieu merci, ces faux-pas se feront rares, et c’est dans un revirement explosif que s’enchaînera le troisième acte aussi dément que déjanté, nous laissant au bout de notre siège, la bouche grande ouverte d’exaltation et d’excitation.
Le cinéaste assumera aussi pleinement son côté romantique, lui donnant beaucoup plus de poids qu’à l’habitude, alors que c’était plutôt les excès de styles qui l’emportaient dans Scott Pilgrim vs. The World, ou encore l’amitié qui revenait toujours en force dans Shaun of the Dead ou The World’s End. Bien qu’on n’a pas de mal à fondre pour ce jeune couple beau et naïf, ça fera quand même étrange de se retrouver avec des moments aussi sirupeux face à un film qui maîtrise aussi bien ses scènes d’action, rappelant un peu le clash que l’éclaté True Romance nous amenait à l’époque, une mauvaise trame sonore en extra.
Baby Driver sera donc sans aucun doute l’une des belles surprises de l’été. Une proposition démente et soignée, parfaite pour ravir les amateurs de la première heure, mais également juste assez détonnant pour probablement se gagner de nouveaux admirateurs en quête d’un brin de folie qui satisfait de par sa fraîcheur et ses aises. Rien de moins que savoureux.
8/10
Baby Driver prend l’affiche en salles ce mercredi 28 juin.