À la suite de la publication le 13 juin par le Journal de Québec des coûts d’un demi million pour les rénovations de l’appartement locatif de Paris de la secrétaire générale de la Francophonie, Michaëlle Jean, l’animatrice de l’émission Médium Large sur les ondes de Radio-Canada, Catherine Perrin a accepté de la rencontrer le 14 juin. Sa défense ciblait le « populisme ».
Ex-journaliste de Radio-Canada, Michaëlle Jean connaît les principes de l’entrevue radiophonique, mais s’est tout de même accaparé le temps d’antenne, évitant l’échange. Cette espèce de plaidoyer rappelait l’entrevue que l’animatrice Anne-Marie Dussault de l’émission 24/60 a accordé à Marine LePen le 24 mars 2016. Évidemment, l’enjeu n’était pas le même. Selon la mise en garde sur le site de Radio-Canada, l’ancienne gouverneure générale du Canada a lancé son appel contre le populisme de concert avec ses homologues du Commonwealth devant la menace des États-Unis de réduire leur budget de 30 % aux Nations unies (ONU).
Lorsque Catherine Perrin aborde l’inquiétude de son invitée par rapport au populisme, Mme Jean répond promptement: « C’est exactement ce dont on parle. Vous voyez? Nous sommes au cœur du sujet, parce que avec tout le début de cette conversation, nous sommes la proie de discours populistes qui finissent par établir un climat où on finit par sous-estimer le rôle des organisations multilatérales et internationales. Donc, heu, nous devons lutter contre cela. » Quelle justification étrange! Veut-elle dire que les techniciens dans le studio tiennent un discours populiste ou que les forces occultes du populisme vont jusqu’à envoûter les studios de la radio d’État ? L’explication se trouve probablement dans la pièce Ai-je du sang de dictateur présentée du 27 janvier au 11 février au théâtre Espace Libre, à travers laquelle l’acteur Didier Lucien traite de ce phénomène de mégalomanie.
Catherine Perrin revient à la charge en lui demandant de définir le « populisme », Mme Jean répond: « Un, l’ignorance. Deux, la division. Heu, créer un climat constant de suspicion qui vient mettre en sourdine le rôle des organisations internationales et multilatérales… quand on voit le Brexit par exemple, la Grande-Bretagne qui sort de l’Union européenne. Là aussi, ça vient affaiblir les organisations internationales et multilatérales… quand on voit ces discours haineux qui cherchent à exploiter le climat d’austérité, le sentiment d’anxiété dans ce monde en changement… »
Après avoir occupé la fonction de gouverneure générale du Canada, et maintenant occupant celle de secrétaire générale de la Francophonie, on peut comprendre que l’appartement de fonction que loue le gouvernement du Canada n’ait pas la même valeur pour Mme Jean que pour un Canadien dont le revenu hebdomadaire moyen est de 956,50 $, selon Statistique Canada. Si on tient compte du facteur « évasion fiscale », c’est probablement les citoyens des classes moyennes et pauvres n’ayant pas accès aux stratagèmes financiers qui couvrent les frais de logement et des cotisations à l’ONU. Contrairement à Mme Jean, personne ne crie au « populisme » au moment de remplir sa déclaration de revenus.
Étiquetage
Selon Mme Jean, le populisme serait de l’ignorance et provoquerait des divisions. Hé bien, si l’on se fie à la déclaration du premier ministre du Québec, Philippe Couillard à la conférence Artic Circle 2016, c’est plutôt son allusion au populisme qui a fait ressortir son ignorance en faisant une association fausse. « Une sorte de nationalisme d’assiégée, de nationalisme de peureux essentiellement, des gens qui ne veulent pas faire face à la diversité, qui préfèrent que le Québec reste replié sur lui-même. C’est ce qu’on voit ailleurs dans le monde. On le voit aux États-Unis, on le voit en Europe. C’est un mouvement foncièrement négatif pour l’humanité, envers lequel on va s’opposer très fortement », a-t-il affirmé d’après La Presse. Bizarrement, M. Couillard se trouvait en Islande, un pays dont l’indépendance récente (1944) est source de fierté nationale.
À l’abstraction du « populisme », le Monde diplomatique de juin propose de situer ce concept ambigu par rapport à la démocratie. Le « populisme » serait mis à l’ordre du jour dans un contexte de dissolution des oppositions essentielles entre la gauche et la droite qui va conduire à ne plus les différencier dans la société. Pour la philosophe Nancy Fraser, le libéralisme est souvent considéré comme le centre, c’est-à-dire que le libéralisme et le fascisme constituent les deux versants profondément interconnectés du système mondial capitalisme. Tandis que pour le journaliste Pierre Rimbert qui revient sur la campagne présidentielle française, il y a eu de multiples tentatives d’associer le parti de gauche la France insoumise au Front national d’extrême-droite. Ainsi, le discours populiste peu autant servir le bon fonctionnement du système capitaliste que d’évincer les organisations politiques qui peuvent donner une orientation différente à ce système.
Piano
En début d’entrevue, Mme Jean a bien mentionné que son appartement de fonction était un « lieu public », dont l’acquisition d’un piano a servi « la carrière d’un particulier ». À cela, elle a ajouté « qu’il aurait fallu que cette personne ( journaliste ) qui a fait l’enquête vienne voir ». D’une part, on peut supposer que le Journal de Québec ne dispose pas des mêmes fonds pour les voyages, et d’autre part, il s’agissait du principal argument du président turc, Recep Tayyip Erdogan lorsque le philosophe Noam Chomsky dénonçait les attaques contre à la minorité kurde. Le président l’a invité à venir sur place.
À entendre cette langue de bois d’énumérations en boucle à la défense du niveau de vie élevé des mandarins de l’élite politique, l’activiste Jean Dominique a dû se retourner dans sa tombe. Le despote responsable de sa mort, Jean-Claude Duvalier a profité du confort de la France pendant un exil de 25 ans. La facture devait être signée par le « populisme »… faut croire.